La belle ouvrage
Par Élise Ternat
Les Trois Coups
C’est en résonance à la Biennale d’art contemporain que l’Opéra de Lyon a choisi d’ouvrir sa saison en accueillant « Trois chefs-d’œuvre » du grand chorégraphe tchèque Jiří Kylián, impeccablement interprétés par les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon.
Bella Figura qui amorce la série de chorégraphies est une pièce phare de Jiří Kylián. Sur scène, les neuf danseurs enchaînent des duos et trios troublants de perfection. Associant la beauté à l’exactitude de chaque geste, rien ne semble laissé au hasard. Le moindre mouvement bénéficie d’une si grande fluidité que cette danse paraît irréelle. Les corps s’affichent dans une précision telle que les danseurs s’apparentent à des figures inhumaines, quasi fantomatiques. La semi-nudité des interprètes, laissant entrevoir les détails de chaque buste, met en valeur la grâce des mouvements. À travers cette illusoire image spectrale, Jiří Kylián interroge le regard porté sur l’artiste, ici le danseur, dont l’image en apparence si lisse masque pourtant de possibles mal-être dont chaque humain peut être l’objet.
Au fil de la pièce, c’est tout un jeu scénographique qui se déploie par le déplacement des rideaux de scène qui dessinent de véritables tableaux, isolant les danseurs à certains moments ou créant des perspectives à d’autres.
Un labyrinthe de sentiments
La pièce suivante, Heart’s Labyrinth, datant de 1984, est associée au dramatique suicide d’une danseuse. Composé d’une succession de duos, trios ou quatuors, ce second moment s’apparente à une scène qui se rejouerait sans cesse mais différemment. L’ambiance est ici plus réaliste, voire cinématographique, notamment via la bande-son dont l’atmosphère se fait parfois angoissante. La présence de néons dessine un rectangle en fond de scène, à la fois miroir et porte par laquelle de nouveaux duos apparaissent inlassablement. C’est toute une palette de sentiments qui sont traduits par les attitudes des danseurs. Ces derniers semblent comme pris dans les rouages d’un labyrinthe. Contrairement à la rondeur des mouvements de la première pièce, ce sont des gestuelles plus torturées qui habitent et animent les corps des interprètes.
Enfin, 27’52, ballet dont le titre est attribué en référence à sa durée, contraste avec les deux premiers moments par son caractère résolument contemporain. Cette pièce créée en 2002 s’apparente à un véritable jeu scénographique de droites et d’espaces, aspect déjà perceptible dans les précédentes pièces où Jiří Kylián donne une dimension ludique aux décors. Ici, les danseurs ne cessent de déplacer les tapis de sol dessinant d’étonnantes lignes de fuite. On retrouve là encore de nombreux duos et trios de danseurs. Leurs gestes prennent par leur brièveté et leur rapidité des allures de scènes de combat portées par les sonorités froides et métalliques de la musique électronique. L’austérité de l’atmosphère de cette dernière pièce se manifeste jusque dans les choix d’éclairage.
Trois chefs-d’œuvre donc, comme autant de facettes de l’immense talent de Jiří Kylián dont la remarquable cohérence de style transcende les époques. L’épure, l’apparente facilité des mouvements, l’absence d’arrêt ou de pause, témoignent de la technicité nécessaire pour atteindre le niveau d’excellence propre à la composition d’une si « belle ouvrage ». ¶
Élise Ternat
Trois chefs-d’œuvre, de Jiří Kylián
Bella Figura
Chorégraphie, scénographie et lumières : Jiří Kylián
Musique : Foss, Pergolèse, Marcello, Vivaldi, Torelli
Costumes : Joke Visser
Avec : Kristina Bentz, Dorothée Delabie, Caelyn Knight, Amandine Roque de la Cruz, Julia Carnicer, Tyler Galster, Raùl Serrano Nùnez, Leoannis Pupo Guillen, Edi Blloshmi
Heart’s Labyrinth
Chorégraphie, scénographie et costumes : Jiří Kylián
Musique : Schoenberg, Webern, Dvorak
Réalisation des lumières : Joop Caboort
Avec : Aurélie Gaillard, Adrien Delépine, Raùl Serrano Nunez, Dorothée Delabie, Leoannis Pupo Guillen, Caelyn Knight, Tadayoshi Kokeguchi, Annabelle Peintre, Edi Blloshmi
27’52
Chorégraphie et décors : Jiří Kylián
Musique : Dirk Haubrich
Costumes : Joke Visser
Lumières : Kees Tiebbes
Avec : Ashley Wright, Ludovick Le Floc’h, Tyler Galster, Kristina Bentz, Marco Merenda, Graziella Loriaux, Ludovick Le Floc’h, Tyler Galster, Simon Galvani, Jacqueline Bâby
Photos : © Michel Cavalca
Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon
Réservations : 04 69 85 54 54
Du 8 au 16 septembre 2015 à 20 heures et dimanche 13 septembre à 16 heures
Durée : 2 h 10
38 € | 30 € | 22 € | 10 €