Un autre monde, étrange et beau
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Grand connaisseur de l’Afrique et habitué des projets théâtraux originaux, Jean‑Paul Delore met en scène et interprète « Trois contes d’Afrique » (qui deviendront en fait sur scène une petite dizaine d’histoires) qui témoignent de la haute exigence artistique du directeur du Lézard dramatique.
Intéressant pour comprendre ce spectacle annoncé comme « à voir en famille à partir de 10 ans » (mais plutôt exigeant pour un jeune public), de revenir sur le parcours de Jean‑Paul Delore. Son insatiable curiosité l’amène en effet autant à défricher des œuvres peu ou mal connues – ici le Mozambicain Mia Couto, le Congolais Sony Labou Tansi, le Malien Amadou Hampâté Bâ, le Congolais Dieudonné Niangouna ou encore le Sud-Africain Stephen Watson mais aussi Blaise Cendrars – qu’à découvrir de nouvelles terres, de nouvelles formes, de nouveaux publics.
Avec ses Carnets sud/nord, laboratoire itinérant, il crée des spectacles ici comme à l’autre bout du monde. Il s’intéresse particulièrement au dialogue avec des publics qui fréquentent peu le théâtre et travaille régulièrement avec des musiciens dont la présence est loin d’être anecdotique dans ses créations : c’est le cas ici avec Yoko Higashi, danseuse butô, chanteuse et musicienne dont la participation à tous les niveaux de ces Trois contes s’impose comme un élément essentiel et central.
Ainsi donc, le programme annonçait trois contes, et il nous en est offert bien d’autres… qui s’enchaînent au gré des conteurs qui sont… presque trois : Jean‑Paul Delore lui-même, Antoine Besson et Yoko Higashi, dont le rôle ne se limite pas aux bruitages, musiques et sons, mais qui interprète ici ou là un personnage venu de la forêt pour une incursion magique dans tous les sens du terme. Ainsi, quand elle contrefait, avec infiniment de drôlerie et de… souplesse, un fétiche animé qui ressemble à s’y méprendre à un petit robot venu de Starwars. Parler d’ailleurs de limites pour les bruitages est en soi réducteur tant elle peuple les contes de cris d’animaux sauvages, de coassements de crapauds, de craquements du vent et d’arbres, de frottements d’herbes, du glissement de l’eau ou du serpent : grâce à sa maîtrise des instruments électroniques dont elle joue en direct, elle fait naître et vivre, évoque et convoque sous nos yeux la terre d’Afrique qui devient personnage, fantôme et génie, un monde tropical à la fois tellurique et liquide…
Aux racines de l’espace et du temps
Ainsi, Yoko Higashi peuple-t-elle un décor qui, pour le reste, est nu : c’est l’espace du conte. À l’exception toutefois d’une ligne d’horizon qui s’éclaire au lever du jour et fait surgir le temps par la science des lumières de Patrick Puechavy… Mais si l’évocation remplace l’illustration, si les textes appartiennent bien au registre du conte, le spectacle de Jean‑Paul Delore se situe bien du côté du théâtre : les très beaux costumes imaginés par Catherine Laval, faits de bouteilles en plastique et de bouts de métal, s’intègrent à l’univers sonore de Yoko Higashi et rappellent à s’y méprendre la statuaire africaine d’aujourd’hui, souvent fabriquée à partir de matériaux recyclés. Quant aux comédiens, ils sont deux pour faire vivre de vrais personnages…
Si Jean‑Paul Delore est le plus souvent dans la peau du conteur qui a l’autorité sur les mythes, Antoine Besson se glisse, lui, dans les petits personnages : sa petite taille, mais aussi et surtout sa grâce enfantine, sa capacité à donner à son corps cet abandon propre aux enfants sur le dos de leur mère comme à rendre réel le fantôme du père désossé dont le corps invertébré se liquéfie littéralement sous nos yeux, son air de fausse naïveté font merveille.
De ces Trois contes prennent source quelques autres, mais surtout une grande étrangeté. Ces récits nous surprennent et nous échappent, si profondément, si radicalement différents des légendes de nos enfances. À telle enseigne que leur sens reste la plupart du temps mystérieux et qu’il est nécessaire qu’un des acteurs intervienne à la fin de chacun pour annoncer ingénument « C’est fini » et faciliter à nos intelligences raisonneuses le passage à un autre conte.
Point de folklore, bien entendu. La démarche artistique est exigeante, elle entraîne en terre inconnue. Elle nous mène en plein cœur d’un ailleurs véritablement exotique, sans complaisance ni facilité d’aucune sorte. Celui qui se laisse guider en ressort émerveillé. ¶
Trina Mounier
Trois contes d’Afrique, de Jean‑Paul Delore, d’après des textes de Blaise Cendrars, Mia Couto, Amadou Hampâté Bâ, Sony Labou Tansi, Dieudonné Niangouna, Stephen Watson
Création T.N.P.
Avec : Jean‑Paul Delore, Antoine Besson
Yoko Higashi : musicienne et voix machines
Lumières : Patrick Puechavy
Costumes : Catherine Laval
Régisseur général : Fanette Lhermé
Chef machiniste : Yannick Galvan
Régisseur plateau : Fabrice Cazanas
Chef cintrier : X.R.
Machiniste cintrier : Aurélien Boireaud
Machinistes : Christophe Dadi, Denis Galliot
Régisseur principal lumière : Rémy Sabatier
Électriciens : Julien Louisgrand, Thomas Marchalot
Régisseurs lumière : Xavier Davoust, Audrey Dussault, Clément Lavenne, Bruno Roncetto, Ariana Thöni
Régisseur principal son : Laurent Dureux
Régisseurs son : Cédric Chaumeron, Éric Georges, Alain Perrier, Pierre‑Alain Vernette
Chef habilleuse : Sophie Bouilleux‑Rynne
Habilleuse : Emily Cawet
Décor et accessoires réalisés dans les ateliers du T.N.P.
Responsable d’atelier : Laurent Malleval
Serrurier : Isabelle Cagnard
Menuisiers : Clément Brun, Marc Jourdan, Paul Poujade
Chef d’atelier décoration : André Thöni
Décorateur : Claire Gringoire
Photo : © Cie Jean‑Paul‑Delore
Remerciements à l’École nationale de musique, Villeurbanne
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
Réservations : 04 78 03 30 00
Du 26 décembre au 30 décembre 2013 tous les soirs à 20 heures, vendredi, samedi et dimanche à 16 heures, Petit Théâtre, salle Jean‑Bouise
Un spectacle à voir en famille à partir de 10 ans
Durée : 1 h 10
24 € | 18 € | 13 € | 8 €