Le vrai du faux
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
C’est l’histoire d’un faussaire belge de génie, Geert Jan Jansen, racontée par le collectif Berlin,habitué d’un théâtre documentaire décalé et amoureux du paradoxe. Nous avons été servis : une heure et demie de promenade entre vrai et faux, réel et virtuel, vérité et mensonge, fake et joke. Virtuose et jubilatoire.
Sur scène, au lever de rideau, nous sommes accueillis par Bart Baele, un des deux concepteurs du spectacle, dans la peau du journaliste qui introduit la conférence, laissant la parole ensuite à un petit monsieur plus très jeune, légèrement bedonnant et partiellement chauve, pas le physique d’un artiste, ni d’un escroc, encore moins d’une star : Geert Jan Jansen en personne. Du moins, nous le dit-on, et il semble a posteriori que ce soit vrai, même si durant tout le spectacle on se demande s’il s’agit là d’une imposture. Ainsi Geert Jan Jansen a-t-il son nom au générique mais se départ-il d’un masque au moment des saluts. Que croire ? Lui ou pas lui ?
Qui est cet homme et comment a-t-il accédé au rang de célébrité ? Car c’en est une. Pendant des dizaines d’années, il a inventé des tableaux d’Appel, Picasso, Monet, Miro, Matisse, Chagall. Ce n’est donc pas, loin de là, un copiste mais un véritable peintre doublé d’un expert. Ces « faux » qui ont franchi les barrières des expertises, il les a vendus pendant des années avec succès, devenant extrêmement riche. Mais comment jouir d’être le meilleur quand on est condamné à rester incognito ?
Berlin nous mène en bateau
L’a-t-il fait délibérément, ou pas ? Difficile à dire, mais il s’est fait prendre. Un beau matin, la police investit le château qu’il habite sous un faux nom et découvre 1 600 toiles de grands peintres. Elles seront toutes détruites, alors même que certaines étaient authentiques ! Et Geert Jan Jansen est arrêté. Comment cette mystification a-t-elle pu durer si longtemps ? D’ailleurs, des musées ont encore, accrochés à leurs murs, des tableaux si « parfaits » qu’ils ne tiennent pas à reconnaître qu’ils ont été les dindons de la farce. Ils témoignent de tant d’art et d’une telle ressemblance aux styles des artistes authentiques qu’on est bien obligé de reconnaître à Geert jan Jansen… un statut de peintre. Aujourd’hui le voici devenu comédien racontant ses aventures, se mettant en valeur à l’invitation de Bert Baele et Yves Degryse.
Si l’histoire et l’homme sont passionnants, la mise en scène qui multiplie les surprises l’est tout autant. Ainsi, le mur, d’abord tapissé de tableaux de maîtres, s’habite-t-il ensuite d’écrans pour nous permettre d’assister aux déplacements du faussaire. Puis nous voilà dans l’arrière-boutique du faussaire et du metteur en scène : on y découvre comment le premier enterre les œuvres dans la terre, verse sur eux sans ménagement le contenu d’un sac d’aspirateur, alors que le second nous entraîne dans les coulisses du spectacle. Geert Jan Jansen nous révèle tous ses trucs, créant avec le spectateur un lien de complicité qu’il pousse jusqu’à organiser des enchères pour vendre les tableaux présentés. La salle est ravie et se prend au jeu.
Avec une maestria aussi géniale que son sujet, True Copy multiplie les occasions de semer le doute. C’est constamment déroutant, presque vertigineux. On se laisse malmener avec un plaisir infini et on en sort tout étourdi. ¶
Trina Mounier
True Copy, de Bert Baele et Yves Degryse
Conception et direction : Bert Baele et Yves Degryse
Avec : Geert Jen Jansen et Fien Leysen
Assistant de Geert Jen Jansen : Luk Sponselle
Vidéo : Geert De Vlesschauwer, Jessica Ridderhof, Dirk Bosmans, BERLIN
Montage: Geert De Vlesschauwer, Fien Leysen, Berlin
Scénographie : Manu Siebens, Ina Peeters, Berlin
Composition musicale et mixage : Peter Van Laerhoven
Mixage live : Arnold Bastiaanse ou Hans De Prins
Piano : Govaart Haché
Violoncelle : Katelijn Van Kerckhoven
Durée : 1 h 20
Les 14 et 15 décembre 2021, à 20 heures
TNG, centre dramatique national de Lyon • VAISE • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Réservations : 04 72 53 15 15 ou en ligne
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