« Un fil sous la neige », Les Colporteurs, Académie Fratellini, à Paris

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Résurrections

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Pour les vingt ans de la compagnie, les Colporteurs reprennent leur spectacle phare, salué unanimement par la presse et diffusé dans le monde entier. Les trois représentations exceptionnelles du « Fil sous la neige » laissent pantois tant par la virtuosité, la grâce, que la puissance du propos. Un magnifique hommage à tous ceux qui doivent livrer un combat contre le handicap.

Pour revenir sur ces deux décennies de création, de prouesses, de poésie et d’émotions partagées avec le public, les Colporteurs ont choisi l’Académie Fratellini tout simplement parce que l’histoire a commencé là. Agathe Olivier et Antoine Rigot s’y sont rencontrés en 1979.

Elle est funambule, lui fait dans la cascade burlesque. Pour la rejoindre sur son fil, il s’initie à cet art. Ensemble, ils créent un duo avec lequel ils obtiennent en 1983 une médaille d’argent au Festival mondial du Cirque de demain. Ils participent alors à la création de compagnies fameuses ou de spectacles marquants : le Cirque du Soleil (de 1985 à 1988), la Volière Dromesko (en 1990), avec laquelle ils parcourent l’Europe pendant quatre ans ; des spectacles pour le Théâtre de l’Unité, Ars Nova ou la Compagnie Foraine… Que de fécondes collaborations !

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« Un fil sous la neige », Les Colporteurs DR

En 1993, ils reçoivent le Grand Prix national du cirque et précisent leur recherche : utiliser la maîtrise de l’art du fil au service de situations théâtrales. En 1996, ils fondent les Colporteurs. Attachés à l’itinérance, ils font construire, avec leurs complices du moment, le chapiteau dont ils rêvent. Ils y présentent le premier spectacle de la compagnie : Filao. Dès 1999, ils s’associent aux Nouveaux Nez pour imaginer, en Ardèche ce qui va devenir la Cascade, aujourd’hui Pôle national des arts du cirque. En 20 ans, ils créent des spectacles remarquables, dont le Fil sous la neige présenté plus de 270 fois en France et dans 15 autres pays.

À retenir aussi la création une sculpture-structure de trois fils auto-tendus, unique en son genre, baptisée l’Étoile, et leurs belles collaborations, notamment avec Mathias Langhoff, Giorgio Barberio Corsetti ou Joël Pommerat, ce qui atteste de leur goût pour le théâtre ou l’opéra.

Hauts et bas

Leur ouverture, créativité et talent sont récompensés par le Prix SACD Arts du cirque en 2008, même si, entre-temps, Antoine devient paralysé en 2000, suite à une chute. Lui, l’acrobate virtuose, victime d’un accident bête, devient invalide… Sa vie bascule, mais il se relève en poursuivant son œuvre, coûte que coûte, aux côtés de ses fidèles compagnons et d’Agathe, bien sûr. Le Fil sous la neige avait alors justement marqué son retour sur la piste.

C’est dans son histoire qu’Antoine puise son récit. À sa manière subtile et délicate, ce spectacle est donc autobiographique. S’il est exclusivement constitué de fils, il commence et s’achève par une chorégraphie sur la piste. Constituée de huit câbles croisés à des hauteurs différentes reliant agrès, fils, trapèzes, mâts chinois, cordes lisses, la scénographie représente le cylindre d’une centrifugeuse. La séquence d’éjection provoquée par une force exercée sur un défilé circulaire d’individus, s’achève par un bal centripète. Plus que lessivés, les spectateurs sortent aussi de là, certes tout retournés, mais revigorés !

Si nous sommes saisis par ce que les acrobates, là-haut, racontent de nos vies précieuses car fragiles, nous sommes effectivement encore plus touchés par la force dégagée par Antoine lui-même, cloué au sol, mais relié aux autres par ces fils tendus de part en part, enraciné à la vie grâce à sa détermination et au bel esprit de sa troupe.

La vie qui file

Entre ces deux séquences évocatrices, les acrobates créent un ballet virtuose dans les airs, sensible et poétique. Sur différents niveaux, les corps s’animent, les mouvements fusent, débordent, évoquant les épreuves qui peuvent jalonner une existence, la peur du vide et la confiance, la ténacité, l’entraide ou le courage. Les sept funambules ont pu se retrouver dix ans après la création. Une chance ! Ce sont parmi les meilleurs fildeféristes du monde, tous à l’aise, même en pointes ou hauts talons, voire les yeux bandés.

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« Un fil sous la neige », Les Colporteurs © Jean-Pierre Estournet

Courses, acrobaties, sauts et autres surprises… nous sommes suspendus à chacun de leur geste car l’équilibre est si précaire. Moments burlesques et prises de risques parfaitement maîtrisées alternent pour le plus grand plaisir des spectateurs. Les pas de deux sont vraiment réussis, notamment ceux d’Agathe et Olivier, qui concentrent ici quarante ans de fil, mais aussi d’amour.

Énergie, générosité, talent

Pour rejouer cette partition dans les airs, ils sont soutenus en live par trois musiciens qui accompagnent remarquablement ces exploits techniques. Les lumières et costumes sont particulièrement soignés, donnant à voir des tableaux de toute beauté.

Le dialogue instauré entre les situations et les interprètes donne du rythme, avec un sens aiguisé du contrepoint. Car, au-delà du témoignage poignant, les Colporteurs retracent ici l’aventure humaine dans ce qu’elle a d’universel, débusquent le merveilleux attaché à nos destins : « Le spectacle tisse les liens qui unissent les hommes et les femmes, les jeunes et les anciens, les fragiles et les agiles, parlant l’air de rien, toujours avec humour, de la vulnérabilité et de la résilience, de la renaissance et de la transmission ». Derrière l’intensité dramatique : la légèreté, donc. Toujours !

Un chef-d’œuvre qu’on aimerait voir tourner encore longtemps. Rêveurs et frondeurs, les Colporteurs ont tant à partager. 

Léna Martinelli


Un fil sous la neige, Les Colporteurs

Site de la compagnie ici

Conception et mise en scène : Antoine Rigot, assisté de Cécile Kohen


Avec (fildeféristes) : Florent Blondeau, Sanja Kosonen, Andreas Muntwyler, Agathe Olivier, Julien Posada, Molly Saudek, Ulla Tikka

Création musicale : Boris Boublil, Antonin Leymarie, Rémi Sciuto

Scénographie : Antoine Rigot

Design sonore : Stéphane Comon

Création lumière : Thomas Bourreau

Création costumes : Florie Bel

Construction : Patrick Vindimian, Sylvain Georget

Direction technique et régie plateau : Nicolas Legendre

Régie lumière : Thierry Azoulay ou Thomas Bourreau

Régie Son : Stéphane Mara

L’Académie Fratellini • Grand Chapiteau • 1-9 rue des cheminots • 93210 La Plaine Saint-Denis

Du 5 au 8 octobre 2017

Réservations : 01 72 59 40 30

De 5 € à 18 €

À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Sous la toile de Jherominus, des Colporteurs, par Léna Martinelli

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