« Un tramway nommé désir », Tennessee Williams, Théâtre des Clochards Célestes, Lyon

Le mari, la femme et… la sœur

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Entouré de comédiens épatants, Benoît Martin confirme son talent avec cette nouvelle création. L’occasion de continuer sa recherche autour du rythme, des tempos, du hors champs.

Pour aborder le premier volet du diptyque que présentaient Les Clochards (La Chatte sur un toit brûlant), je m’étais reportée au célèbre film qu’illuminaient de leur présence infernale Paul Newman et Elizabeth Taylor, mais j’attendais avec impatience le second volet, « Un tramway nommé désir », sans autre recommandation que le nom de son metteur en scène.Car Benoît Martin, formé au Conservatoire de Lyon, confirme qu’il sait faire du théâtre. Ce deuxième volet a toutes les qualités du premier sans les user. Comme c’est un diptyque, il reprend tout d’abord le même décor, celui d’un mobil home au sens littéral du terme : une sorte de cabane de chantier sur roues dans laquelle se trouvent les instruments indispensables de sud étouffant et poisseux des États-Unis, un frigo empli de bières, un ventilateur et un lit d’appoint.

Ici, vit un couple dans une relative solitude et une harmonie faite de renoncements et de fatalisme ; Stella, fille d’aristocrates possiblement héritière, et l’homme qu’elle a épousé par amour, un Polonais intéressé qui se sent enfin un homme avec elle. L’arrivée de la sœur de Stella, Blanche, va servir de révélateur et de mèche. Mais c’est elle qui va se consumer la première. Cette dernière vit elle aussi d’illusions.

L’enfer c’est les autres

S’il n’y avait l’inévitable présence, par éclipses, de l’ami de Stanley, compagnon de beuveries et de cartes, on ne verrait sur le plateau que le trio, dont on sait, depuis Huis clos, qu’il est évidemment infernal. Cette fatalité se trouve dans toutes les configurations affectives, et encore davantage lorsque la troisième trouble l’intimité d’un couple. À ce sujet, on peut s’amuser que la compagnie ait pris le nom de Sagittarius, un trou noir dans l’univers !

Il est intéressant de comparer les dramaturgies des deux pièces : alors que Brick occupait le centre de la scène, muré dans le silence et donc objet et caisse de résonnance de tous les dialogues, Blanche, cette fois, occupe la scène de sa logorrhée intarissable, de son désir de plaire, d’occuper le terrain, de ne jamais laisser place à la parole de l’autre pour pouvoir l’occuper de ses mensonges. Blanche est d’abord une femme encore jeune, névrosée et mythomane qui débarque chez sa sœur car elle a tout perdu. Elle cherche d’abord à se mentir à elle-même ; à oublier qu’elle est tombée très bas.

Un-tramway-nommé-désir-Tennessee-Williams-Benoît-Martin
© Benoît Martin

C’est à elle que revient d’abord de parler à toute allure, sans reprendre souffle. Elle navigue en plein cauchemar : contrainte de demander asile à une sœur, le prototype de l’épouse soumise (tout ce à quoi elle a renoncé), et à son mari, qu’elle prend pour un plouc, elle a en elle une énergie qui lui fait garder la tête haute contre l’évidence. On voit son esprit chercher des parades et des manigances à toute vitesse. Quel personnage ! Savannah Rol lui donne un relief impressionnant. Renaud Bechet et Ana Benito complètent de manière très crédible ce trio de choc.

Benoît Martin est à la fois capable d’imprimer une marque reconnaissable et de ne pas se répéter. Et puis, il faut bien le dire, les comédiens dont il s’entoure, sont rompus au jeu dramatique. Même si certains sont très jeunes, ils ont déjà bien roulé leur bosse. L’ensemble est un sans faute et nous leur souhaitons bonne continuation. 

Trina Mounier


Un tramway nommé désir, de Tennessee Williams

Traduction Pierre Laville

Compagnie Sagittarius A* Théâtre

Mise en scène : Benoît Martin

Avec : Renaud Bechet, Ana Benito, Savannah Rol et Jacques Douplat

Lumière : Manuella Mangalo

Scénographie : François Dodet et Benoît Martin

Durée : 1 h 30

À partir de 14 ans

Théâtre des Clochards célestes • 51, rue des Tables-Claudiennes • 69004 Lyon

Du 9 au 12 juin 2022, tous les jours à 19 h 30, samedi et dimanche à 16 h 30

Intégrale les 18 et 19 juin, à 16 h 30

Réservations : 04 78 28 34 43 ou billetterie en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :

La Chatte sur un toit brûlant, de Tennessee Williams, par Trina Mounier

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant