« Une Maison de poupée », Cie Plexus Polaire, Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis

Une Maison-de-Poupée-Plexus solaire © Christophe-Raynaud-De-Lage

La chute de la maison Helmer

Laura Plas
Les Trois Coups

La cie Plexus Polaire présente « Une Maison de poupée » à la première personne, où Nora n’est plus une poupée passive mais le rouage d’une oppression systémique aux allures cauchemardesques et fantastiques. Une proposition puissante, portée par une partition visuelle et sonore époustouflante.

Nous avions adoré Lucy’s Dream, adaptation féministe saisissante de beauté de Dracula. Nous découvrons cette fois le cauchemar de Nora. La cie Plexus Polaire ne se contente pas de mettre en scène la Maison de poupée d’Ibsen, elle nous offre un récit conté par sa protagoniste.

Dès l’ouverture en forme de prologue, nous sommes avec Nora, comme si une faille nous permettait de nous insérer au cœur de l’intrigue telle qu’elle a vécue, à l’instant précis du basculement. Si cette histoire est passée désormais, irrévocable, elle devient matière à remémorations réflexives ou songes : cosa mentale.

C’est pourquoi tandis que Nora s’empêtre dans la toile qu’elle a contribué à tisser, la dimension fantastique gagne le plateau. Quelle audace que de faire cette proposition pour une pièce d’Ibsen ! Quelle idée judicieuse aussi ! De fait, si l’ancrage historique de la pièce la date, l’éloignant de nous, les affres de Nora n’ont, elles, pas d’âge. Dans l’antre obscur de sa psyché, la créativité d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza font éclater le carcan réaliste. La partition sonore orchestrée par Simon Masson, la musique de Guro Skumsnes Moe créent l’étrangeté, comme ils réverbèrent les émotions du personnage principal. De plus, tout un bestiaire horrifique, symbolique s’invite sur scène : araignées de plus en plus effrayantes, oiseaux, fantoches humains.

La maison morte

Nora est véritablement enfermée avec ces créatures. La scénographie nous propose en effet un unique lieu, décor de chromos aussi figé que les individus qui y évoluent. Ce salon bourgeois décoré d’un sapin de Noël offre une image trompeuse de bonheur. Non seulement, il s’anime et délivre des monstres, mais il se métamorphose. La création de François-Gauthier Lafaye est par conséquent aussi peu un décor que Nora n’est une poupée.

Dans ce piège, Nora se démène en vain. La « petite alouette » se cogne aux parois. Après la classe morte de Kantor, voici donc la maisonnée morte de Plexus Polaire. L’idée de faire de Nora la manipulatrice de tous les autres personnages pendant toute une première de la pièce étonne, mais permet de rendre compte de cette agitation de plus en plus désespérée.

Libre aux spectateur·ices d’y voir en outre une évocation de la charge qui pèse sur les mères et les ferait rêver d’avoir mille mains, ou une critique d’une société confite en diktats moraux. Nora ne s’insurge-t-elle pas contre une loi qui fait fi de l’amour ? Loin d’être une poupée, elle serait ainsi le seul être vivant d’un salon de porcelaines, ce qui expliquerait la coupe (snif) de la fameuse tirade sur la maison de poupée.

Une maison pour aujourd’hui

Nora est donc à la fois manipulée et manipulatrice. Elle est en définitive partie prenante d’un système où l’oppression s’avère complexe et systémique. En ce sens, la proposition des deux metteuses en scène s’ancre bien dans notre présent. Ne pourrait-on pas d’ailleurs déceler dans la présence ambivalente de l’araignée (est-elle opposante ou représentation de Nora ?) une parenté avec les créations de Louise Bourgeois ?

Plastique, esthétique, le spectacle l’est en tout cas au plus au point, par la qualité des images – leurs apparitions à la fluidité chorégraphique – par la qualité, enfin, de l’interprétation d’Yngvild Aspeli et Viktor Lukawski. Ces derniers sont aussi convaincants dans la manipulation que dans le jeu. On n’est pas prêt de remiser cette Maison de poupée.

Laura Plas


Une Maison de poupée, d’Henrik Ibsen, cie Plexus Polaire

Site de la compagnie
Mise en scène : Yngvild Aspeli et Paola Rizza
Avec : Yngvild Aspeli (en alternance avec Maja Kunsić) et Viktor Lukawski
Durée : 1 h 20
Dès 14 ans
Spectacle en anglais surtitré en français

Théâtre Gérard Philipe • 59, boulevard Jules Guesde • 93207 Saint-Denis
Du 11 au 16 octobre 2024 (sauf le 12), lundi, mercredi et vendredi à 20 heures, le samedi à 15 h 30
De 6 € à 24 €
Réservations : 01 48 13 70 00 ou en ligne

Tournée ici :
• Les 7 et 8 novembre, La Faïencerie, à Creil (60)
• Le 12 novembre, CDN de Normandie-Rouen (76)
• Le 15 novembre, Le Tangram, à Évreux (27)
• Les 20 et 21 novembre, Le Sablier, CNMA, à Ifs, en partenariat avec la Comédie de Caen, CDN dans le cadre du Festival les Boréales (14)
• Les 28 et 29 novembre, Le Trident, à Cherbourg (50)
• Les 5 et 6 décembre, Théâtre de Sartrouville CDN (78)
• Les 18 et 19 décembre, le Zef, scène nationale, à Marseille (13)
• Le 9 janvier, Le 140, à Bruxelles (Belgique)
• Le 18 janvier, Espace Michel Carné, à Saint-Michel-sur-Orge (91)
• Du 23 janvier au 2 février, Théâtre du Rond-Point, à Paris (75)
• Du 12 au 14 mars, La Coursive scène nationale de la Rochelle (17)
• Les 19 et 20 mars, Scènes & Cinés, Théâtre La Colonne, à Miramas (13)
• Du 25 au 28 mars, Les 2 Scènes, en partenariat avec le Nouveau Théâtre de Besançon CDN (25)

• Du 2 au 4 avril, MC2, Grenoble (38)
• Le 8 avril, Théâtre de Mâcon scène nationale, dans le cadre du festival Les Utopiks, organisé en partenariat avec l’Espace des Arts scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)
• Le 10 avril, L’Arc, scène nationale le Creusot (71)
• Le 16 avril, Scènes du Jura, scène nationale, Dole (39)
• Le 19 avril, Quai 9 Lanester, avec le Théâtre à la Coque, CNMA, Lorient (56)

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Photos : © Christophe Raynaud de Lages

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