Quand l’alouette prend son envol
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Philippe Person signe une mise en scène glaçante du texte avant-gardiste d’Ibsen. Les quatre acteurs nous plongent au cœur d’un ménage empêtré dans les conceptions morales du xixe siècle, mais nous racontent surtout la genèse d’une prise de conscience libératrice.
La salle Paradis du Lucernaire est l’écrin idéal pour donner vie à la chaleur d’un foyer à l’approche de Noël. La proximité de la scène nous immerge dans le salon de Nora et Torvald Helmer. Marié depuis huit ans, le couple se répartit les rôles de façon bien codifiée : lui, banquier fraîchement promu directeur, il est tourné vers la sphère publique et travaille ses dossiers tout autant que son image qu’il souhaite moralement irréprochable. Femme au foyer, Nora se dévoue au bien-être du ménage et à l’éducation de ses trois enfants. Son mari critique ses dépenses superflues, l’appelle « mon alouette », ou « mon petit écureuil », surnoms qui se veulent affectueux, mais qui reflètent avant tout l’inconsistance de Nora à ses yeux.
Torvald ignore que son épouse s’est endettée pour le faire soigner lorsqu’il était gravement malade. Krogstad, le créancier de Nora, est un subordonné de Torvald à la banque. Sur le point de perdre son poste, il menace Nora de révéler à son mari qu’elle a utilisé un faux en écriture. La vérité finit par éclater et mène à l’émancipation de Nora.
L’apparition de Krogstad est un moment charnière qui nous fait oublier l’insouciance affichée par le couple lors de la scène d’exposition. Le changement d’atmosphère se traduit par un glissement dans la bande-son, les chants de Noël laissant place aux musiques rock. Le décor dévoile alors toute sa polysémie : la baie vitrée installée au fond du plateau, censée exhiber un foyer idéal, inflige à Nora une transparence redoutable. Les noirs fréquents saccadent le rythme de la pièce comme une respiration qui s’accélère sous le coup de la peur. Le rythme est en effet un élément clé de l’œuvre puisque Nora fait le décompte des heures qui la séparent de l’aveu final.
Florence Le Corre interprète une Nora touchante et complexe. Son apparence gracile cache une énergie impressionnante, tout comme son personnage recèle une force insoupçonnée sous son image superficielle. L’actrice joue la mascarade du bonheur avec tout le recul nécessaire, avant d’intensifier son implication lorsque sa routine conjugale est menacée. Sa panique face au dilemme moral est en partie canalisée par Madame Linde, son amie d’enfance, incarnée par Nathalie Lucas. Cette dernière arbore une puissance scénique remarquable. La belle maîtrise de sa voix n’y est pas étrangère et participe de la construction de son personnage de femme forte et déterminée.
Philippe Person et Philippe Calvario parviennent à humaniser leurs rôles respectifs qui ne brillent pourtant pas par leur grandeur d’âme. Philippe Person passe de la froideur inquiétante à l’humanité blessée. Le maître-chanteur en deviendrait presque attachant. Quant à Torvald, il a beau être méprisant à l’égard de Nora et obsédé par le qu’en-dira‑t‑on, Philippe Calvario révèle la vulnérabilité de son personnage lorsque Nora conquiert sa liberté.
On peine à croire qu’Une maison de poupée a été écrite en 1879. L’histoire de Nora est troublante de modernité. Mis à part quelques détails qui permettent de dater la pièce – notamment l’interdiction faite à une femme de contracter un emprunt –, le texte est tout à fait transposable dans un cadre contemporain. C’est le parti pris de cette mise en scène qui facilite d’autant plus l’identification aux personnages. Ne vous reste qu’à grimper les marches jusqu’à la salle Paradis ! ¶
Bénédicte Fantin
Une maison de poupée, de Henrik Ibsen
Mise en scène : Philippe Person
Traduction : Régis Boyer
Avec : Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario, Philippe Person
Lumières : Alexandre Dujardin
Décor : Vincent Blot
Production : Serge Paumier Production
Photos : © Pierre François
Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame-des‑Champs • 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34
Métro : Notre‑Dame-des‑Champs
Du 8 février au 12 mars 2017, du mardi au samedi à 21 heures, dimanche à 19 heures
Durée : 1 h 30
26 € | 21 € | 16 € | 11 €