L’essence du sens et du son
Par Vincent Cambier
Les Trois Coups
Pour la douzième année consécutive dans le Off, je commence par engranger de la beauté en allant voir un spectacle du Théâtre de la Passerelle de Limoges, dirigé par Michel Bruzat. Depuis « les Caprices de Marianne », qui m’avaient laissé sans voix, je sais que je vais sur un terrain labouré et semé avec le soin amoureux de l’artisan, qui sue sang et eau pour offrir de beaux fruits. J’ai donc fait ma moisson d’émotions face à ce Off 2008, bel arbre quarantenaire aux branches proliférantes, dévorantes, monstrueuses, qui envahissent tout. Qui tentent d’étouffer le bon grain. Qui résiste. De plus en plus difficilement. C’est le cas de cette « Nuit d’amour plus qu’un jour de gloire », de Gaston Couté. Un météore éblouissant dans la nuit de la médiocrité.
Gaston Couté est fils d’un meunier du Loiret. Donc d’un « peineux ». Il quitte très vite l’école, cette fabrique à troufions et à payeux d’impôts, ce semis à soumission. Il publie ensuite des poèmes dans des journaux locaux. Et, en 1898, il monte à Paris. Il a dix‑huit ans. Il ne vivra encore que treize années, lourdes d’absinthe, de tuberculose et de privation.
Je n’ai jamais entendu Couté comme ça, comme il est ici « traduit » par Dominique Desmons le Grand. Jamais, la langue du poète anarchiste et libertaire n’a sonné avec autant de clarté à mes oreilles. Cette langue peaufinée à la main, gorgée d’énergie, charnue, caressante, sensuelle, vivante, audacieuse, âpre, vindicative, violente, armée, actuelle, libre, enfin. Dominique Desmons, dirigé au rasoir par Michel Bruzat le Magnifique et magistralement éclairé par Franck Roncière le Sculpteur, s’en empare avec une profonde intelligence, la hume, la renifle, la tripote, la malaxe, la broie, la mâche comme un vers de Racine, la chante… Il la pousse jusque dans ses derniers retranchements, jusqu’au suc, jusqu’à l’essence du sens – oh, pardon, un gros mot ! – et du son.
« Avec Gaston Couté, refusons inlassablement un pouvoir arbitraire, semons la tolérance et l’humanisme réconciliateurs, continuons à faire entendre les bordées de protestations, les rafales d’indignation », nous dit Michel Bruzat. Je souscris pleinement à cette déclaration. Et vous ? ¶
Vincent Cambier
Une nuit d’amour plus qu’un jour de gloire, de Gaston Couté
Théâtre de la Passerelle • 5, rue du Général‑du‑Bessol • 87000 Limoges
05 55 79 26 49 | télécopie 05 55 10 13 30
theatre-de-la-passerelle87@wanadoo.fr
Mise en scène et scénographie : Michel Bruzat
Avec : Dominique Desmons
Musiques : Dominique Desmons, Éric Durand
Piano : Catherine Pourieux
Lumières : Franck Roncière
Construction décor : Frédéric Roncière
Création costumes : Dolorès Alvez‑Bruzat
Réalisation costumes : Catherine Marteau
Théâtre du Balcon • 38, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 00 80
Du 10 juillet au 2 août 2008 à 12 h 30
Durée : 1 h 10
16 € | 11 €