Caubère, impératif !
Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups
Qui mieux que Philippe Caubère pour inaugurer la nouvelle thématique inscrite au programme du Théâtre Sorano ‑ Jules‑Julien : « Un acteur / un auteur » ? Avec « Urgent crier ! », le comédien, entier et indigné, met justement sa voix au service d’un autre Marseillais, taillé dans la même roche : l’ami et écrivain, André Benedetto, disparu en 2009.
D’abord, disons-le directement : on aime entendre crier Caubère. Le cri de Caubère est toujours un cri d’amour, l’expression naturelle d’une belle humanité qui jaillit au moment où l’on trouve l’existence un peu trop inhumaine, le commentaire émotif d’un artiste face aux soubresauts de sa conscience. Caubère crie pour défendre les petites gens, les prostituées, les amoureux du théâtre… Il faut que Caubère continue de crier : ça réveille et réconforte, aiguillonne notre sens moral endolori tout en pansant les désillusions de nos vies.
Les mots d’André, la voix de Philippe…
Une fois de plus, donc, et pour notre plus grand bonheur, la voix de Caubère coule en cataracte, jetant à la face des spectateurs les mots rares d’André Benedetto, l’écrivain parfait et l’ami disparu. Ce sont des mots du Sud, piqués de nostalgie, digressifs, suivant la narration en spirale des peuples de la Méditerranée. Quelquefois, ils sont accompagnés par la musique de Jérémy Campagne. La guitare donne dans le style Velvet Underground lorsque l’auteur se veut pamphlétaire, et les délicates mélodies andalouses lorsqu’il est dans l’hommage. Mais, la plupart du temps, les textes de Benedetto se suffisent à eux-mêmes, et on les écoute, ravis, ressusciter une époque déjà historique bien que peu ancienne. Entre les années 1940 et les années 1960… Et, avec elles, son cortège d’hommes admirables.
On y trouve Antonin Artaud, le fou, l’halluciné, l’incorruptible conscience, qui fouillait dans ses entrailles pour y trouver la vérité. Le critique d’art dramatique Gilles Sandier, qui promenait ici et là, dans les jardins d’Allah, une silhouette familière et un regard bienveillant. Et, bien évidemment, Jean Vilar le Sétois : la quintessence du « comédien méditerranéen », l’homme qui réussit le miracle d’Avignon avant de se faire injustement crucifier comme ennemi du peuple en mai 1968.
Merci Philippe Caubère
Dans l’accent de Caubère, les mots de Benedetto sont aussi bien armés qu’amoureux, gorgés de soleil ou tranchants comme une lame de couteau. Il y a du Camus, des poètes arabes dans ce corps textuel, foisonnant et un peu entêtant. Quelquefois, l’acteur perd le fil, oublie son texte… Quelquefois, c’est le spectateur qui se perd dans l’incessante mise en abyme du discours : Caubère incarnant Benedetto, qui lui-même évoque Jean Vilar, Artaud ou Serge Pey… Qui est là ? Qui parle ?
Peu importe en réalité, puisqu’ils ont tous la même langue : celle d’un théâtre vivant. Vivant car engagé, indigné et courageux. Et ça, c’est en soi une source de bonheur. Merci, donc, Philippe Caubère… ¶
Bénédicte Soula
Urgent crier ! Caubère joue Benedetto, d’après les textes d’André Benedetto
Mise en scène : Philippe Caubère
Avec : Philippe Caubère
Guitariste : Jérémy Campagne
Création lumière et sonore : Philippe Olivier dit « Luigi »
Montage images : Nicolas Temple
Photo : © Michèle Laurent
Photos d’André Benedetto : © Frances Ashley et Jean‑Marc Peytavin
Production : Véronique Coquet, La Comédie nouvelle
Théâtre Sorano • 34, allées Jules‑Guesde • 31000 Toulouse
Réservations : 05 34 31 67 16
Du 13 au 15 octobre 2011 à 20 heures
Durée : 1 h 40
8 € | 18 €