L’indispensable vitrine des écritures itinérantes
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Loin de l’agitation intramuros, Villeneuve en Scène invite à se poser. Refuge, lieu de découvertes et de rencontres, c’est un carrefour de création où se retrouvent arts de la rue et du cirque, compagnies de danse et de théâtre itinérant. Exigeante et accessible, la programmation privilégie les formes atypiques.
Décor verdoyant, atmosphère conviviale grâce au Beaub’Arts et tous les petits plus, fonctionnement écoresponsable, programmation éclectique… Chacune de nos venues à Villeneuve en Scène est une respiration. Sur le site privilégié de la Plaine de l’Abbaye, au bord du Rhône, les chapiteaux et roulottes attirent le regard. « Le temps suspend son vol »… « Véritable Slow Festival, Villeneuve en Scène propose un autre rythme, plus doux, un moment propice à la rencontre artistique et aux échanges », explique Brice Albernhe, directeur de Villeneuve en Scène.
Ouvertes à tous les publics, ces propositions font appel autant au sensible qu’à l’esprit. Le texte théâtral côtoie le cirque, les musiques, la danse ou les arts de la rue. Spectacles déambulatoires ou participatifs, sous chapiteau ou immersifs… Place à l’inattendu !
Cette nouvelle programmation se compose de 13 formes hybrides, riches et singulières. Le Cabaret renversé en est la parfaite illustration. La Faux Populaire se présente comme « une compagnie étiquetée de cirque, mais on peut y trouver des pelures de théâtre, des rognures de musiques, des éclats de danse et autres fruits à coques ». Entre conflits balistiques en tous genres et vins à déguster, ce drôle de cabaret éclaire la notion de « vivre ensemble », mais en couple, autour d’acrobaties, jonglerie, dressage, magie.
Parmi les exemples de scénographie innovante : Valse à Newton. Dans ce monde qui court à sa perte, nous prendrons quelques heures pour réfléchir, avec Le Grand Jeté, à cette abstraction qu’est le temps. Concrètement, cette pièce tout terrain transforme notre rapport au cadre spatio-temporel, avec un pendule de Newton monumental que trois danseurs défient pour répondre à cette urgence salvatrice de suspendre le temps. De quoi le savourer !
Autre spectacle sur notre rapport au temps, mais à travers les liens complexes, parfois inextricables, entre mémoires, identités et territoires : Autrement qu’ainsi. Le chorégraphe Yann Lheureux y aborde frontalement la maladie d’Alzeimer avec beaucoup de poésie (lire la critique de Stéphanie Ruffier).
Vrai (Sacékripa) est l’histoire (vraie) d’une rencontre entre un jongleur et un partenaire mystérieux. À hauteur d’yeux, dans un dispositif scénique étonnant, chaque spectateur est équipé d’un casque audio et observe au travers d’une petite lucarne cet improbable duo. Quant à Rire de tous les mots (cie TSF), une émission de radio enregistrée en direct et en public, avec ses codes, ses chroniques et sa part d’imprévu, elle nous donne une furieuse envie de lire.
Parenthèse enchantée
Loin d’être dans une bulle, on se reconnecte aux autres à Villeneuve en Scène. Les arts de la rue sont une formidable caisse de résonance du monde, dans toute sa diversité : « Les artistes proposés disent la complexité et la confusion du monde, mais avec un regard coloré, inventif, joyeux… vivifiant », précise Brice Albernhe.
Si la plupart des spectacles contribuent à donner sens au réel, certains ouvrent de salutaires perspectives, comme Komplex Kapharnaüm qui propose, avec Continent, projet sur la sidération, de « retrouver la capacité à se projeter dans un imaginaire, un possible ». Le texte de Stéphane Bonnard, lauréat notamment du dispositif Auteurs d’Espaces / SACD, relate le quotidien d’un lieu occupé, un hébergement illégal de 350 personnes. Mis face à deux situations, le public est amené à agir, directement (lire la critique de Stéphanie Ruffier). Ce monologue documenté nous fait revivre une traversée improbable où s’essaye et s’écrit une histoire désirée du monde à venir.
Dans Short People, les cinq individus surgis de nulle part s’apparentent à une société en réduction. Comment avancer face à l’adversité ? Cette tribu soudée évoque un monde complexe où les gens n’ont d’autre choix que de s’entendre pour ne pas tomber. C’est le 3e spectacle qui constitue le parcours danse.
© Lucile Nabonnand
mise en scène de Julia Vidit © Anne Gayan
À nouveau du théâtre, avec Skolstrejk, titre inspiré du slogan écrit sur le panneau de Greta Thunberg : ce spectacle traite de la cause environnementale à travers la prise de conscience et l’engagement. La jeune Louise et ses camarades lycéens imaginent effectivement une grande révolution internationale et entament une grève scolaire. Tantôt narrateurs, tantôt personnages, le duo d’acteurs se partage tous les rôles au milieu des spectateurs, mettant en question la lutte et les moyens d’actions actuels. Il interroge aussi le regard que la jeunesse peut porter aujourd’hui sur une fin du monde continuellement représentée dans notre société.
La Manufacture de Nancy présente un autre spectacle tout public : Dissolution. En complicité avec l’auteure Catherine Verlaguet, la même Julia Vidit, à la tête du CDN Nancy Lorraine depuis 2021, met en scène une rencontre entre trois générations pour aborder les grandes questions existentielles, et notamment celle de la disparition. Une pièce en forme d’ode à la vie qui traite de filiation, de magie, de forces qui se transmettent, de fleurs qui poussent et d’enfants qui grandissent. Que l’on ait 9 ou 79 ans, on en sort fortifié.
Pour finir sur du cirque mâtiné de théâtre et de musique, Avant la Nuit d’après parmi les spectacles à voir en famille. Cette fable onirique raconte l’histoire d’un homme perdu qui se réveille au cœur d’une fête foraine abandonnée où trône un vieux carrousel oublié. Ce manège, c’est sa vie, ses doutes, ses joies, ses croyances, son histoire. Nourrie de voltige, chorégraphie équestre, mât chinois et acrobatie, la compagnie ÉquiNote crée l’enchantement d’une poésie entre ciel et terre.
Des expériences fortes en émotions
Antithèse de cette fresque vivante et fantasmagorique, la Boîte de Pandore (cie Betterland) est un seule en scène. Avec une corde lisse, des lancers de couteaux et une guitare électrique, une femme raconte de longues années de silence, une adolescence broyée par des violences sexuelles. Par fragments, son histoire prend corps, grâce au cirque. Elle dit ses combats intérieurs, son désir de vengeance. Debout, vivante, à n’importe quel prix, elle exprime l’indicible et fait de ce témoignage intime une libération, qu’elle souhaite universelle. Pour que le silence ne règne plus et que la honte change de camp.
Parcours invitant à la rêverie, temps donné à soi, actes performatifs, élans pour se donner du courage, refaire surface ou se réapproprier l’espace public, voilà autant de gestes artistiques inspirés. Comme expérience marquante, retenons celle de ToNNe, qui invente des créations spécifiques au long cours en lien avec un territoire et ses habitants : Passage du Nord-Ouest est présenté comme du « théâtre d’aventure pour places publiques ».
© Stephane Marchand
© Stephane Marchand
L’équipage de la Gjoa vient raconter la traversée menée par Roald Amundsen, célèbre explorateur, disparu en 1928. Entre tempêtes et rencontre avec les Inuits, il partage ses joies, ses peurs et ses peines, au creux de la nuit polaire. Ce récit soulève des questionnements contemporains comme les revendications des peuples autochtones ou le dérèglement climatique, dans un paysage sonore ponctué de chants parfois proches du rituel tribal. Embarquement immédiat dans cette épopée !
Enfin, Anatomie du désir laisse une trace indélébile. Objet inclassable, présenté dans un amphithéâtre vertigineux, Boris Gibé (Les Choses de rien) nous invite à capter les forces invisibles qui animent notre désir. Lors d’un voyage sensoriel, où même les papilles sont à la fête, les Vénus anatomiques évoquent le lien étroit qu’entretenaient les sciences avec le divin. Du cirque métaphysique qui aide à apprivoiser la mort. Insolite en diable ! 🔴
Léna Martinelli
Villeneuve en Scène 2023
Du 10 au 22 juillet 2023
2, rue de la République • 30400 Villeneuve-Lez-Avignon
Site du festival
De 8 € à 30 €
Réservations : 04 32 75 15 95 ou en ligne
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Dans le cadre du festival Off Avignon
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