« Wayqeycuna », Tiziano Cruz, Gymnase lycée Mistral, Festival Avignon 2024

Wayqeycuna-Tiziano-Cruz © Christophe-Raynaud-de-Lage

Vous ne récupèrerez pas ma peine

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Autobiographie d’un « je » travesti en artiste pour retourner les armes contre l’oppresseur, « Wayquecuna » fait retentir le chant d’une terre éventrée. Tiziano Cruz y porte magnifiquement la parole de ceux qui ne l’ont pas, chevillant esthétique et éthique.

Encore une fois, on se réjouit que Tiago Rodriguez ait pris la tête du festival d’Avignon : les vents d’autres continents soufflent ; d’autres histoires que les histoires nationales rances nous sont racontées. En ces temps tourmentés, on ne peut aussi que se poser la question du sens d’être à Avignon. Que peut l’art face à la catastrophe ? N’est-il pas le beau miroir aux alouettes que se tendent entre eux les nantis ? Pour toutes ces raisons, ces questions, il est passionnant de voir le dernier volet de la trilogie de Tiziano Cruz.

Wayquecuna se présente comme un retour au pays natal de l’artiste : une communauté indigène montagnarde d’Argentine. En effet, la forme hybride du spectacle mêle des parties performatives aux images documentaires d’un village que l’artiste avait quitté durant plus de dix ans. Mieux, la poétique (on dirait même la poésie) du spectacle nait de son innutrition par les rites, mythes transmis à Tiziano Cruz. De même sa forme (participative et ouverte) nous fait pressentir ce qu’est cette communauté, politiquement, bien au-delà des clichés qui la réduirait à ses pompons, son artisanat, sa couleur locale. C’est pourquoi le spectacle échappe à la récupération de la révolte et de la misère par l’art.

Que difícil es hablar de la vida !

De fait, Tiziano Cruz rejette le confort du transfuge de classe. Lui, l’indigène coqueluche du théâtre, ne cachera pas, par sa réussite individuelle, la misère de ses frères. Il la criera, la chantera comme ce qu’elle est : un fait insupportable et tu. Et peut-être le sourire et la douceur de l’interprète n’atténuent-ils pas l’évocation de la violence, mais la soulignent-ils. En tout cas, son « je » est bien un « nous et il passe en contrebande les sans-dents, ceux qui seront toujours suspects, sinon coupables, aux douanes. En ce sens, aussi, l’artiste ne cède pas aux sirènes « bourgeoises » du narcissisme autobiographique. Il parvient à nous parler de la vie.

Dépouillé, tenu par Tiziano Cruz seul (qui assume le rôle de régisseur plateau autant que d’interprète), le spectacle est pourtant redoutablement efficace. Les tintements de cloches, la neige d’une projection suffisent à nous faire voyager dans les montagnes argentines. Des percussions évoquent un massacre. La poésie vient au secours des discours pour faire entendre l’insupportable. Des chiens enrubannés nous conduisent auprès des morts.

Ça craque aux entournures, ça irritera peut-être, mais l’on sort touché, bouleversé jusqu’aux larmes, par la sincérité et même la fragilité du spectacle : un moment fort. 🔴

Laura Plas


Wayqeycuna, de Tiziano Cru

Site de l’artiste
Texte, mise en scène et interprétation : Tiziano Cruz
Durée : 1 h 10
Dès 15 ans (spectacle en espagnol, surtitré en français et anglais)

Gymnase du lycée Mistral • 20, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 11 au 14 juillet 2024, à 11 heures et les 10 et 14 juillet, à 18 heures
De 10 € à 30 €
Réservations : 04 90 14 14 14 ou en ligne

Dans le cadre du Festival d’Avignon, 78édition du 29 juin au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici

Tournée :
• Du 30 au 1er septembre, dans le cadre de La Batie, à Genève (Suisse)

Photos : © Christophe Raynaud de Lage 

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