Quelques fleurs
dans le magma
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
C’est la seconde pièce d’une toute jeune auteur-metteuse en scène : Myriam Boudenia. Elle trouve place dans la programmation très éclectique – mais exigeante – du Lavoir. Ces « Wild Flowers » ne pouvaient donc que susciter la curiosité. Révélant un réel talent, elles n’emportent pas pour autant l’adhésion.
Ces fleurs sauvages mais vénéneuses sont le fruit de la synthèse d’une trilogie qui a obtenu en son temps la bourse Beaumarchais d’aide à l’écriture. Bon augure donc, d’autant que ce n’est pas si souvent que l’on peut voir aujourd’hui huit acteurs sur scène – notamment sur un plateau aussi réduit que celui du Lavoir qui n’en comporte pas à proprement parler.
Car le lieu est un ancien lavoir qui a conservé sa disposition première : une sorte de fosse de deux mètres de large et six de long, entourée de grandes dalles utilisées pour battre le linge, derrière lesquelles se tenaient les lavandières. Lieu magnifique et chargé d’histoire, lieu « intéressant », mais pas forcément facile à utiliser pour le scénographe, avec ses deux gros piliers qui soutiennent le plafond en plein milieu et qui gênent la visibilité. Il nécessite des comédiens quelque peu gymnastes et oblige à des déplacements latéraux.
Cela n’a pas constitué apparemment un problème pour Quentin Lugnier qui a comblé la fosse, créant ainsi un véritable plateau. Commençons par son décor qui donne d’emblée le ton : tout est recouvert de plâtre blanc, comme pétrifié par quelque maléfice, recouvert de poussière qui sera, on le verra, une évocation du passé comme une préfiguration d’un sinistre avenir atomique. Les quelques statuettes brisées qui jonchent le sol complètent cette impression de cimetière. Seules quelques fleurs sauvages trouent cette blancheur plane, mélancolique et endeuillée. L’ensemble est esthétiquement plutôt réussi.
Péchés de jeunesse
C’est donc de mort qu’il s’agit ici puisque tout commence et tout finit autour d’un rocher qui surplombe une mer mortifère : une femme y pleure son fils noyé et refuse de revenir du côté des vivants, condamnant ainsi ses autres enfants à l’abandon et à la mort. Pétrifiée sur ce Golgotha, elle devient une légende et une sorte de lieu de pèlerinage où vont se succéder, plutôt que se rencontrer, d’improbables personnages venus d’autres époques. Plus généralement, époques d’aujourd’hui, empruntant à diverses cultures très éloignées les unes des autres et dont les codes ne peuvent que se heurter. La légende de départ aurait à elle seule suffi. Mais seront aussi évoqués pêle-mêle, le danger du nucléaire, le rôle de la presse, le rapport au corps, la maternité, la jeunesse, la liberté…
Pas de doute, il y a là une véritable écriture qui explore quantité de strates, de temps, d’images, d’univers et s’y fraye un chemin avec une habileté certaine. On peut même reconnaître à Myriam Boudenia un vrai goût du risque assumé. On sent ici un frémissement, un bouillonnement, une sorte de poésie sauvage qui n’est pas sans charme. Mais qui trop embrasse mal étreint : trop de sujets à peine ébauchés que déjà lâchés, trop de grandiloquence et pas assez de sobriété dans le jeu – très inégal – des comédiens, trop de courses sur le plateau. Certes, c’est au spectateur de tisser ses interprétations, et Myriam Boudenia revendique ce travail fragmenté qui ne lâche que des bribes et n’indique aucune direction. Mais ce spectacle souffre de n’être pas assez maîtrisé, de la surabondance des thèmes, des pistes, comme d’un jeu trop souvent surexposé, où l’image choc est recherchée, le hurlement pris comme expression théâtrale de la douleur… Défauts de jeunesse, sans doute. Souhaitons à ce spectacle qui déborde d’énergie et d’idées de se polir, de trouver sa cohérence et sa juste tonalité. ¶
Trina Mounier
Wild Flowers, de Myriam Boudenia
Mise en scène : Myriam Boudenia
Avec : Louis Dulac, Anne Geay, Judicael Jermer, Robert Jessel, Leila Mahi, Marie‑Madeleine Mancini, Marieke Sergent et Tiphaine Sintes
Scénographie : Quentin Lugnier
Création lumière : Jean-Louis Delorme
Composition musicale : Louis Dulac
Costumes : Marie Lugnier
Photo : © Mathieu Despeysses
Le Lavoir public • 4, impasse Flesselles • 69001 Lyon
Tél. 09 50 85 76 13
8 € la place ; adhésion à l’association : 2 €
Les 7, 8 et 9 novembre 2013 à 20 heures
Durée : 1 h 30