C’est dans les verres qu’on fait les meilleurs zèbres
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Édition zéro mais loin d’être nulle, les Zébrures d’automne s’affirmaient cette semaine comme un lieu de débats conviviaux, un véritable laboratoire aussi où l’on tentait des hybridations avec de généreux ratés mais aussi de très belles surprises, tel le chorégraphique et choral « Pourvu qu’il pleuve ».
C’est une année charnière qui commence avec le festival des Zébrures d’automne. Son nouveau directeur, Hassane Kouyaté a l’humilité des sages mais voit loin, comme les grands : de futures éditions s’esquissent déjà, tandis qu’un premier festival bat son plein. Et déjà, dans la générosité des équipes, dans la bigarrure des partenariats et des propositions, on perçoit qu’une impulsion nouvelle a été donnée.
Cap sur l’inconnu. Rien d’étonnant alors à ce que le Q.G. du festival soit situé désormais au cœur de la ville et coexiste de manière improbable mais harmonieuse avec les bâtiments de la police municipale. Rien d’étonnant encore à ce que le festival ait retissé des liens avec l’Université, que la programmation théâtrale coexiste avec les discussions, les concerts, les déambulations, jusqu’au bout de la nuit.
Aux risques de la création
Mais si le festival a tout d’un laboratoire, c’est qu’il apparaît surtout comme un creuset de formes. Quand on consulte la programmation, on ne peut qu’être saisi par le nombre de créations ou de spectacles proposés pour la première fois dans l’hexagone. Résultat : des propositions qui ne sont ni tout à fait huilées, ni encore figées par le verni des tournées.
Il en est ainsi de la Fin du monde évidemment : la mise en scène propose une fracture déconcertante au milieu de la représentation; la choralité irrévérencieuse et ludique du début laisse place à un seul en scène plus empesé. Alougbine Dine y occupe alors avec fougue le plateau, mais sa prestation est empêchée par la projection redondante de ses propos qui transforme la poésie en karaoké. Non seulement le film gâche la performance, mais le texte et l’image s’y neutralisent. Pourquoi ne pas avoir fait confiance au théâtre pour porter la parole forte d’Aimé Césaire ? Quel dommage, car on avait aimé la belle équipe de jeunes comédiens venus du Bénin. On avait trouvé que de bonnes questions sur le colonialisme et le théâtre étaient posées.
Même frustration face à Pire n’est pas (toujours) certain. Bigarré, foisonnant, le spectacle de Catherine Boskowitz parvient certes à nous faire pressentir la fête que pourrait constituer la fin des frontières, y compris esthétiques. En effet, il donne forme au concept de mondialité à l’honneur dans Frères migrants, l’essai de Patrick Chamoiseau qui a nourri la pièce. Il joue aussi des ressources de l’allégorie et de la fiction. Nous nous souviendrons notamment du fantastique clown d’Estelle Lesage qui bouscule la représentation pour notre plus grand bonheur, ou de chiens magnifiques qui nous parlent d’un monde de loups. Cependant, le propos est parfois assez naïf, et surtout, sa profusion lui fait perdre de la force. On s’égare un peu, on n’apprend pas grand-chose. On aimerait en fait que la poésie de Chamoiseau bouscule la langue et que le matériau documentaire, à la source du projet, ne soit pas englouti sous la mise en scène. Restent la beauté d’instants et une partition musicale interprétée en direct qui, à elle seule, vaut le détour.
Il est heureusement d’autres mises en scène qui magnifient les textes. C’est le cas de celle d’Astrid Mercier, qui parvient à faire tinter Pourvu qu’il pleuve, comme un toast. Dans cette pièce, Sonia Ristić affirme avoir voulu confronter l’intime (les instantanés d’un café parisien) avec le collectif (un attentat). Fluide, plutôt naturaliste, le texte ne laissait en rien présager une proposition aussi stylisée que celle qui nous est faite. Non seulement, Astrid Mercier nous fait entendre parfaitement le texte et sa polyphonie, mais elle en souligne la malice, les différentes couleurs. À la choralité originelle s’ajoute ainsi une chorégraphie impeccable, portée par de merveilleux interprètes. Un travail d’orfèvre où la scénographie élégante, la musique, le travail soigné des lumières est un régal pour les yeux. C’est la découverte de la semaine et une joie de voir de jeunes comédiens aussi précis et rigoureux dans leur jeu. ¶
Laura Plas
Dans le cadre des Francophonies, des écritures à la scène : festival des Zébrures d’automne
La Fin du monde évidemment, d’Hervé Loichemol
Texte et mise en scène : Hervé Loichemol
Avec : Alougbine Dine, Anne Durand, Rolly Godjo, Germain Oussou, Moussa Issa Ousmane, Achille Senifa, Pierrette Takara
Durée : 1 h 20
À partir de 15 ans
Espace Noriac • 10, rue Jules Noriac • 87000 Limoges
Le 27 septembre 2019 à 18 heures et le 29 septembre à 17 h 30
Le Pire n’est pas (toujours) certain, de Catherine Boscowitz
Texte et mise en scène : Catherine Boscowitz
Avec : Catherine Boscowitz, Frédéric Fachéna, Estelle Lesage, Marcel Mankita, Nanténé Traoré
Durée : 1 h 40
À partir de 15 ans
Centre culturel Jean Gagnant • 7, avenue Jean Gagnant • 87000 Limoges
Le 26 et le 27 septembre 2019 à 20 h 30et le 29 septembre à 15 heures
Pourvu qu’il pleuve, de Sonia Ristić
Le texte est édité aux éditions Lansman
Mise en scène : Astrid Mercier
Avec : Grégory Alexander, Jann Beaudry, Alexandra Déglise, Jérémie Edery, Ricardo Miranda, Karine Pédurand, Maleïka Pennont
Durée : 1 h 20
À partir de 12 ans
Théâtre de l’Union • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Le 30 septembre 2019 à 18 h 30 et le 1er octobre à 20 h 30
De 8 € à 20 €
Réservations : 05 55 00 98 36
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☛ Focus Québec, 35ème édition du festival des Francophonies à Limoges, par Laura Plas