Attention, zone de turbulences !
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
C’est une acrobatie un peu singulière que défendent à nouveau les cinq artistes de Galactik Ensemble, dans leur deuxième spectacle, présenté au Monfort. À un rythme effréné, corps bousculés et renversés par des éléments en rébellion, ils se jouent de l’imprévisible et franchissent tous les obstacles.
Panneaux mobiles, plantes en plastique, rideau de porte à lanières, plumeaux de ménage disposés en bouquet… Dans une semi-pénombre, côté jardin, un immense toboggan. Le décor de Zugzwang, ses multiples accessoires en veille, semble guetter ses protagonistes. Le vacillement, c’est pour tout de suite.
Une scénographie de tous les dangers (ou presque) !
L’habitacle s’éclaire. Le regard du spectateur est dirigé vers le panneau du fond, sur lequel commence à tanguer une improbable petite marine. À gauche, trouant le mur, la tête d’un artiste. À droite, la tête du deuxième, surmontée de bois de cerf. Le troisième apparaît, drôlement affublé, un plateau de thé à la main, tandis qu’un autre surgit visage masqué d’une affiche, et que le dernier s’invite à la fête, une nappe sur la tête. Ils sont là tous les cinq. Le ton est donné : il sera loufoque. Ambiance kitsch pour un univers très bousculé.
Car, bien entendu, le thé ne sera pas servi. Une plante folle propage sa frénésie : les voici pris d’un tremblement intempestif et contagieux. L’un d’eux se jette à terre, en proie à d’irrépressibles convulsions. Tout s’agite furieusement, les objets sont projetés au sol, et c’est la catastrophe, le grand effondrement. Table, chaises, murs, plafond. En une poignée de secondes, c’est la dégringolade, au son de bruits effrayants, fracassants. Décombres. Un malheur tout à fait éphémère : un plumeau est agité, la vie est sauve !
L’univers perpétuellement en mouvement est le creuset d’inspiration de la compagnie, dont le nom n’est pas un hasard. La moindre action y est compliquée. S’habiller ou s’attabler sont un pari presqu’impossible. Accrocher un tableau est surhumain, boire une bière est surréaliste. Autant de petits gestes entravés par nombre d’objets en rébellion. Verres sauteurs ou mobilier casse-cou. La scénographie est ici un personnage à part entière. Elle provoque l’esquive et le sauve-qui-peut.
Un décor multi-facettes permet le passage très rapide d’un univers à un autre. Galactik Ensemble explique s’être inspiré de la notion de « Pop-Up » (« apparaître », en anglais) : un principe faisant apparaître en relief des éléments de décor ou de personnage, et permettant de penser le déploiement rapide d’une structure dans l’espace. Rails, cordes, roulettes, autant de mécanismes simples actionnés tout au long de ce chambardement très organisé. Car tout ce fourbi relève d’un enchaînement d’actions très bien huilées, un peu à la manière d’une pièce de boulevard.
Des turbulences mais pas de KO
Dans leur premier spectacle, Optraken (mot qui définit la position de repli des genoux pour absorber le relief en ski), ces artistes montraient qu’on pouvait résister à une rafale de balles de tennis, à des pétards en pagaille, ou à un sol se dérobant. L’homme en équilibre aux prises avec son environnement est à nouveau au cœur de leur démarche artistique. Une recherche sur le mouvement des corps, individuellement et en groupe, à l’intérieur de terrains accidentés. Leur dramaturgie, expliquent-il, est celle du saut d’une situation à une autre, avec, pour ponctuations, des « césures, des juxtapositions, des fractures, des rebonds ».
On les voit, inlassablement, s’escrimer à refaire. Reboucher un trou, cimenter, clouer, s’accrocher, s’agripper, dompter, glisser, retenir. Resurgir et revernir : et même, on l’imagine bien, de contrées fort lointaines où l’on peut recommencer à chanter, danser, se chamailler. Le mouvement, expliquent-ils, devient « une réponse nécessaire, l’élan vital permettant de traverser les situations avec justesse ».
Dans ce jeu d’action / réaction, le vacillement ne conduit pas à la chute définitive. La vision du collectif est résolument optimiste et joyeuse. Le corps bousculé ne reste pas à terre. Le radeau de sauvetage qui bringuebale les rescapés ne les rejette pas à la mer. À moins que… Mais c’est une autre histoire.
Oubliés les sauts périlleux et autres figures spectaculaires de leurs disciplines d’origine. Cette acrobatie-là n’est pas du tout leur propos. Au-delà des rires qui s’emparent du public du début à la fin du spectacle, on retiendra l’énergie folle et l’imagination non dénuée d’humour avec lesquelles ils délivrent leur message : rester debout malgré vents et marées est possible. Encore faut-il jouer ! Passer son tour n’est pas une option : c’est le sens du terme « Zugzwang ». ¶
Florence Douroux
Zugzwang, de Galactik Ensemble
Avec : Mathieu Bleton, Mosi Espinoza, Jonas Julliand, Karim Messaoudi, Cyril Pernot
Direction technique : Victor Fernandes
Technique plateau : Charles Rousseau
Construction, création machinerie : Franck Breuil, Victor Chesneau, Antoine Messonnier
Création lumières : Romain Caramalli
Création sonore et musique : Thomas Laigle
Création costumes : Elisabeth Cerqueira
Régisseur son : Eric Sterenfeld
Regard scénographique / Pop-Up : Mathilde Bourgon
Regards extérieurs : Justine Berthillot et Marie Fonte
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Du 21 au 30 janvier 2022, à 20 heures, dimanche à 16 heures
Réservations en ligne
Tournée :
- Le 4 février, Les Bords de Scènes, Espace culturel Alain -Poher, Ablon -sur-Seine
- Du 8 au 9 février, Espaces Pluriels, scène conventionnée de Pau
- Le 12 février, Théâtre Roger Barat, Herblay
- Le 25 février, Les Quinconques et l’Espal, scène nationale du Mans
- Le 3 mars, Les 3T, scène conventionnée de Chatellereault
- Les 10 et 11 mars, Le Trident, scène nationale de Cherbourg, Plateforme 2 pôles cirque en Normandie, dans le cadre du festival Spring
- Les 25 et 26 mars, Le Volcan, scène nationale du Havre, dans le cadre du festival Spring
- Du 29 mars au 3 avril, Les 2 Scènes, scène nationale de Besançon
- Du 10 au 14 mai, Maison de la Danse à Lyon
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Optraken, du Galactik Ensemble, par Laura Plas