Dans les pas des divas
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
En fin d’après-midi, pour cette première journée de Jazz sous les pommiers 2014 (Coutances-Manche), les festivaliers avaient rendez-vous avec Cécile McLorin Salvant. La jeune artiste leur a offert un spectacle de haut vol, émouvant et intense.
Quand j’ai vu que Cécile McLorin Salvant était à l’affiche de la 33e édition de Jazz sous les pommiers, je me suis réjoui de revoir une artiste appréciée. J’étais loin de m’attendre à ce qu’elle nous a offert.
En septembre dernier, déjà, son concert au Théâtre national de Bretagne (Rennes) était étonnant par les progrès spectaculaires réalisés. Aussi étonnant que cela paraisse, il faut reconnaître qu’elle a encore progressé en moins d’un an.
On retrouve, bien sûr les qualités qui l’avaient fait distinguer à Vienne en 2011 : tessiture très étendue, diction et sens du rythme parfaits, une expressivité intéressante. Ce nouveau concert révèle encore un approfondissement de tout cela.
Avec un nouveau groupe et un nouveau programme, Cécile McLorin a captivé un public exigeant, suscitant une émotion palpable. Dès le premier titre, When I Was Young, une nouvelle Cécile apparaît avec un air mutin qu’on ne lui connaissait pas. On sent aussi qu’elle va être portée par un trio de haut vol : Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse) et Pete Van Nostrand (batterie).
Nobody (Bert Williams) est un modèle d’ironie amère qui révèle un talent de comédienne inouï – mais peut-on parler de comédie quand les sentiments semblent à ce point vécus ? Dès ce deuxième titre, la salle est entièrement conquise. Spring Can Really Hang You up the Most (1955) de Fran Landesman et Tommy Wolf, un traditionnel illustré notamment par Ella Fitzgerald et que Cécile présente comme un de ses préférés, est un instant de pure musicalité avant Woman Child, titre éponyme de son dernier album.
L’émotion est de retour avec John Henry, une chanson qui narre la vie de l’un des rares héros mythiques noirs aux États-Unis : on le présente comme un pionnier dans la construction du chemin de fer. C’est en véritable virtuose que Cécile aborde cette sorte de légende chantée, un peu à la façon des dithyrambes chers aux griots. Le contrebassiste, comme dans le traditionnel qui suit (I Really Don’t Know What Time It Was), et le batteur montrent ici tout leur talent.
Tout simplement éblouissant
Laugh, Clown, Laugh, allusion à un clown triste d’après l’opéra Pagliacci, est tout simplement éblouissant. La chanson, qui fut interprétée par Abbey Lincoln, alterne le drame et des moments plus légers. Une première partie évoque le style opéra tandis que la seconde est clairement portée par une pulsation jazzy. C’est l’occasion de rendre hommage au remarquable pianiste, virtuose et sensible, qu’est Aaron Diehl. On reste ensuite dans le domaine de l’opéra avec Stepsisters’ Lament (Rodgers-Hammerstein) inspiré de Cendrillon et que Cécile présente avec malice comme ayant un écho dans sa vie.
Dans la fin du spectacle, je retiendrai le Front caché sur tes genoux de la poétesse haïtienne Ida Faubert (1882-1969). Ce très beau texte, ici admirablement mis en valeur par la musique et la voix de Cécile McLorin Salvant, illustre comme le suivant que le français se chante, même en jazz. Le concert s’achève par la bouleversante interprétation du Mal de vivre. Comme dit à peu près un ami : « On peut remercier Barbara de l’avoir écrit » !
Il est difficile après ce concert de ne pas reconnaître que Cécile McLorin Salvant joue désormais dans la cour des plus grandes. Avec le public, nous ne demandons qu’à la suivre sur les traces des divas. ¶
Jean-François Picaut
Jazz sous les pommiers 2014, à Coutances (Manche)
33e édition
Du 24 au 31 mai 2014
Contact public : Jazz sous les pommiers • Les Unelles • B.P. 524 • 50205 Coutances cedex
Tél. 02 33 76 78 50 | télécopie 02 33 45 48 36
Site : http://www.jazzsouslespommiers.com
Courriel : jslp@jazzsouslespommiers.com
Billetterie : 02 33 76 78 68 (du lundi au samedi, et tous les jours pendant le festival)
Photo : © Jean‑François Picaut