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« Debaa », Opéra de Rennes

« Debaa » © Fred Toulet

Un charme envoûtant

Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups

Pour son nouveau concert dans le cadre de « Divas du monde », l’Opéra de Rennes a accueilli un spectacle original venu d’un département français d’outre-mer : le « Debaa » de Mayotte.

Dans le département de Mayotte, le 101e de la France, le debaa ou deba est une institution multiséculaire. À la fois pratique cultuelle et rituelle, réunion festive féminine, ce genre musical et chorégraphique présente cette particularité d’être exclusivement exécuté par les jeunes filles et les femmes.

Cette « musique-danse », apprise dans les écoles coraniques, occupe une place importante dans l’éducation coutumière proposée aux jeunes filles. Elle se rattache à la tradition musicale soufie. Transmis par des associations de femmes et pratiqué par elles, le debaa est à la fois un facteur de socialisation et un créateur de réseaux de sociabilité où chacune trouve sa place.

Les poèmes chantés et dansés, œuvres d’écrivains mystiques soufis, peuvent s’adresser à Dieu. Ils sont alors propitiatoires, expiatoires ou manifestations d’une action de grâces pour un retour de pèlerinage à La Mecque, une fête de village, une fête religieuse comme le mawlid, l’anniversaire de la naissance du Prophète. Ils peuvent célébrer une naissance, un mariage, une circoncision, etc. Ils peuvent parler d’amour et, dans ce cas-là, mêlent selon la tradition soufie l’amour profane et le divin.

Une forme de transe musicale et poétique

Les treize interprètes font leur entrée en silence, à la file. Vêtues de rose et de blanc, pagne noué au-dessus des seins, porté sur un tee-shirt, discret foulard de tête, bijoux d’or en évidence autour du cou, elles avancent en saluant gracieusement de la main.

« Debaa » © Fred Toulet
« Debaa » © Fred Toulet

Les cinq percussionnistes s’asseyent en tailleur sur un tapis qui couvre la scène et les huit choristes-danseuses se tiennent debout derrière elles. Le spectacle peut commencer. Après une courte introduction des percussions (quatre tambours sur cadre et un tambourin), une des percussionnistes se lève et lance un chant. L’acoustique de l’Opéra permet l’absence de toute amplification, et cela ajoute au charme de l’interprétation plus proche de la réalité quotidienne du debaa.

La forme appartient à la psalmodie responsoriale. Ici, chaque poème est divisé en deux parties. Dans la première, la soliste chante, récite, scande un verset et le chœur lui répond. L’aspect pour ainsi dire liturgique est ici très sensible. Puis, toujours sous la forme d’une alternance entre le chant soliste et le répons, les percussions entrent en action et la danse commence.

Les femmes dansent sur place. Seuls le haut du buste, les bras et la tête sont animés dans une chorégraphie qui fait penser à l’Indonésie. Les lentes oscillations synchronisées des danseuses évoquent les ondulations de la mer. Les gestes aériens, très délicats, des bras et les arabesques raffinées des mains tatouées au henné sont empreints d’une grande douceur et exercent une forme d’hypnose bienheureuse chez les spectateurs.

La deuxième partie du poème est plus animée et le rythme plus soutenu, mais la chorégraphie garde le même délié. L’une des danseuses-chanteuses quitte la ligne de ses camarades et vient circuler entre les deux rangs, c’est « l’Imam ». Son rôle est de guider les danseuses. Sans cesser de danser elle-même, elle leur annonce en direct la chorégraphie à suivre : les mouvements du corps, les gestes des bras et des mains, les rythmes… Sa parole, que l’on sent plus prosaïque, naturelle ou sous la forme du parlé-chanté, se superpose au chant et aux percussions.

Cette forme de transe musicale et poétique exerce sur le spectateur un charme envoûtant. Entraîné par les lentes ondulations de ces ondines d’un nouveau genre, séduit par les voix claires et puissantes, on se laisse bercer tandis qu’une sorte de paix semble planer et doucement descendre sur la salle épanouie. On peut retrouver une partie de l’enchantement ressenti grâce à un disque de la collection « Ocora » (Radio France / Harmonia mundi, 2010). Les chanteuses du Debaa de Mayotte ont obtenu le prix France Musique des musiques du monde en 2009. 

Jean-François Picaut


Debaa, chants soufis et danses des femmes de Mayotte

Avec : Madania Radjab (danse et Imam), Rosine Ousseni, Hamiyati Mognehazi (danse et chant), Faidati Mognehazi, Fatouma Colo (percussions et chant), Adidjati Toumbou, Hafissoiti Amboudi, Nabila Chaka, Andjilati Alidi, Charafina Mognehazi (danse et chœurs), Nafouhati Idaroussi, Nourou Mognehazi, Mariati Toumbou (percussions et chœurs)

Photos : © Fred Toulet

Production : Zaman Production

Opéra de Rennes • place de l’Hôtel‑de‑Ville • B.P. 3126 • 35031 Rennes cedex

http://www.opera-rennes.fr/

Téléphone : 02 23 62 28 28

Mercredi 8 février 2017 à 20 heures

Durée : 1 heure

26 € | 9 €

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