(Pour) petits mais costauds
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Peur des spectacles ringards et bancals pour la jeunesse ? Le Gilgamesh offre une ribambelle de propositions de grande qualité : des histoires d’enfants mal embouchés qui se hissent à la hauteur des héros, des spectacles jeune public très costauds !
Nostalgiques des années 80 aux bambins férus de mythe : Hercule à la plage est fait pour vous ! Ce texte malin de Fabrice Melquiot revisite le mythe d’Hercule pour nous conter une jolie histoire d’amitié juvénile : celle qui lia la « superlative », la parfaite India, à trois garçons tous amoureux d’elle. Mais attention, tel un labyrinthe, il recèle ses secrets et sa légèreté apparente dissimule sans doute d’obscurs minotaures. Car comme nous en avertit India, « quand on raconte un souvenir, parfois on l’invente »…
Mariama Sylla, qui le met en scène, nous mène et nous sème avec un plaisir partagé. Grâce à un travail habile sur les noirs et une scénographie transformable, elle joue avec le spectateur à une habile partie de cache-cache. Ajoutons que dans l’obscurité créée, l’œil écoute, les souvenirs ont leur bande originale (Kurt Cobain ou encore Francis Cabrel pour le jeune Charles). Les voix se déforment, les échos d’hier résonnent. Le travail sur la matière sonore de Simon Aeschimann est d’ailleurs remarquable et la régie le met bien en valeur.
Porter haut les couleurs de l’enfance
L’obscurité sert enfin d’écrin aux couleurs. Celles-ci distinguent les trois rivaux (comme jadis on distinguait les chevaliers) et redonnent vie aux souvenirs. Mais c’est surtout aux trois comédiens très bien dirigés que le spectacle doit ses élans et son humour : Raphaël Archinard, Julien George, Hélène Hudovernik, Miami Themo sont les quatre mousquetaires de cette épatante distribution. Pour eux, pour la qualité du texte et de sa mise en scène, il faut s’extirper du lit et aller au Gilgamesh.
Que les amoureux de leur couette se rassurent, cependant. Ils pourront, par exemple, se rattraper à la séance de 12 h 25 avec Oliver : un indémodable classique (Oliver Twist de Dickens) revisité avec énergie par un trio de comédiens-musiciens. Ils actualisent le roman en le nourrissant de la vitalité rageuse d’une musique urbaine et électro. Ils s’inspirent des échanges qu’ils ont eus avec des Oliver d’aujourd’hui, déjà malmenés par les inégalités, déjà debout pour rejeter les injustices.
Leur travail de réécriture est plutôt réussi : il crée des va-et-vient dans le temps pour nous lancer plus vite au cœur de l’action, dans la course effrénée d’Oliver, jusqu’à l’heureux dénouement. Il aurait presque quelque chose de brechtien dans ses adresses au public, ses invitations à réfléchir au sort de tous ces gamins gueux que l’avidité des grands a projetés au pays du malheur. Et si on n’est pas toujours totalement convaincus par les parties musicales, on admire l’engagement des comédiens. En effet, tandis qu’Oliver court, ils jouent, chantent et se métamorphosent sans cesse. Récit à tiroirs, scénographie dont les cases recèlent des surprises, Oliver est donc fait pour les enfants qui n’aiment pas les cases, qui veulent des mots pour panser les maux d’aujourd’hui et chanter, crier une rage de vivre.
La mécanique impeccable du hasard
Enfin, pour les petits comme pour les grands, le Gilgamesh offre une pépite : la Mécanique du hasard, l’adaptation que proposent Catherine Verlaguet et Olivier Letellier (dont on avait déjà apprécié le fantastique Oh, boy !) du roman de Louis Sachar : le Passage.
C’est l’histoire fabuleuse de Stanley Yelnatz, un gamin victime d’une terrible malédiction familiale qui se retrouve dans le terrible camp du Lac vert, à creuser des grands trous, des grands trous et encore des grands trous. C’est l’histoire d’un gamin au grand cœur, dont le nom se lit dans les deux sens, dont l’histoire se vit dans tous les sens, une histoire comme les amoureux du récit (les Dumas, les Michalik) savent seuls en concocter. C’est une histoire d’amitié, de libération qui nous apprend que rien n’est joué quand tout paraît pourtant perdu.
La pièce est servie par deux comédiens formidables (Fiona Chauvin et Guillaume Fafiotte). Agiles comme des gymnastes, ils savent se glisser dans toutes les peaux (celles d’affreux jojos et de valeureux héros). Aidés par une superbe adaptation, par une mise en scène plus qu’efficace, ils métamorphosent par leur interprétation un frigo en montagne, en trou, en maison.
Le talent est là, la fantaisie est reine, comme l’indiquent les premiers mots du spectacle qui agissent tel un merveilleux sortilège : « Imagine, imagine ». On est saisi, et on sort ravi et époustouflé. ¶
Laura Plas
Hercule à la Plage
Le texte est édité à La Joie de lire
Mise en scène : Mariama Sylla, assistée de Tamara Fischer
Avec : Raphaël Archinard, Julien George, Hélène Hudovernik, Miami Themo
Durée : 1 heure
À partir de 9 ans
Du 5 au 26 juillet 2019, du lundi au samedi à 10 h 30, relâche les 10, 17 et 24 juillet
La Mécanique du hasard
Le texte du Passage de Louis Sachar est édité chez Folio Junior
Adaptation : Catherine Verlaguet
Mise en scène : Olivier Letellier, assisté de Jonathan Salmon et de Valia Beauvieux
Avec : Fiona Chauvin et Guillaume Fafiotte
Durée : 1 heure
À partir de 9 ans
Du 5 au 26 juillet 2019, du lundi au samedi à 13 h 45, relâche les 10, 17 juillet
Oliver
Texte et mise en scène : Julien Rocha
Avec : Delphine Grept, Benjamin Gibert, Julien Rocha
Durée : 55 minutes
À partir de 8 ans
Du 5 au 26 juillet 2019, du lundi au samedi à 12 h 25, relâche les 10, 17 et 24 juillet, spectacle en audio-description les 15 et 16 juillet
Théâtre 11 ● Gilgamesh Belleville • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
De 8 € à 20 €
Réservations : 04 90 89 82 63
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Kalîla wa Dimna, de Monein Adwan, par Céline Doukhan
☛ Les Séparables, de Fabrice Melquiot, par Michel Dieuaide
☛ MaColombine, de FabriceMelquiot et OmarPorras, par MichelDieuaide
Une réponse
Au Gilgamesh, il faut aussi absolument voir « Pronom » d’Evan Placey mis en scène par Guillaume Doucet à 18h30 !