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« Incendies », de Wajdi Mouawad, Théâtre national de Bretagne à Rennes

« Incendies » © Brigitte Enguérand

Théâtre de l’urgence, théâtre nécessaire

Par Aurore Krol
Les Trois Coups

« Incendies », j’en avais vu la mise en scène de Wajdi Mouawad, au Théâtre du Nouveau-Monde, à Montréal. Je m’en souviens comme d’un de mes plus beaux moments de théâtre, comme d’une expérience intensément bouleversante. Je craignais un peu la déception pour cette nouvelle adaptation. Mais, dès les premières minutes du spectacle, j’ai compris que je ne serai pas incitée à la comparaison.

Stanislas Nordey nous offre la simplicité et n’égare jamais le spectateur. La mise en scène est certes plus formelle et moins flamboyante que la première, mais tout y est limpide. Moins éprouvant aussi. La souffrance ni la colère ne sont exhibées. Les comédiens nous atteignent de plein fouet, et il est impossible de décrocher un instant des trois heures de représentation.

On reconnaît bien sûr ce travail si particulier sur la diction et les gestes, qui est le propre du metteur en scène. Mais la direction d’acteurs prend cette fois un nouveau tournant. Les comédiens ne sont plus uniquement réceptacles d’une parole à transmettre, ils sont désormais aussi des incarnations. Grâce à ce jeu épuré, le texte trouve une répercussion symbolique et universelle.

Incendies est un texte riche, dense, polymorphe, que Nordey met en valeur en choisissant de vider la scène de tout ornement. Cet espace nu vient comme un élément stabilisateur, unifiant, un tout-lieu qui nous évite de nous perdre dans un dédale d’endroits, d’époques et de personnages. Un contraste de couleurs des plus basiques évoque ces variations temporelles. Blanc pour le présent, noir pour le passé. On revient à l’essentiel, les couleurs se complètent comme deux pièces de puzzle qu’il faut réunir. À l’évidence d’un présent qui ne peux exister sans passé.

Pourquoi Nawal s’est-elle enfermée dans le silence ? Pourquoi, au bout de plusieurs années sans avoir prononcé un mot, n’a-t-elle dit qu’une phrase : « Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux » ?. L’intelligence du texte est de rester dans l’intime. Les bourreaux deviennent victimes et inversement. Il n’y a pas de morale face à l’absurde.

Il y a des secrets, il y a de l’indicible et de l’impensable. On tourne donc autour de la douleur, de la blessure, du tranchant d’une lame ou d’une vérité coupante comme de la glace. Mais c’est d’incendies qu’il s’agit, ceux qui ravagent, dépossèdent, effacent les traces, mais laissent des marques indélébiles. Ainsi un testament, un frère et une sœur élevés à la culture nord-américaine qui se voient projetés dans un pays détruit par la guerre, à la recherche du passé de leur mère. La parole et l’Histoire sont liées : d’une parole absente découle forcément une Histoire trouée, en déficience sensorielle.

Faut-il encore démontrer à quel point Wajdi Mouawad est un poète incroyablement sensible, un dramaturge hors pair qui mêle l’anecdote au mythe avec la désinvolture du génie ? Démontrons-le tout de même pour les plus sceptiques… Entre une reprise déjantée de Roxane et des tirs au fusil sur la foule, un soldat nous laisse entrevoir son âme grimée et désespérée. Cette apparition cagoulée d’un homme tenant en joue le public n’a rien d’un « effet ». Cela fait peur. Vraiment. C’est ça le théâtre de Mouawad, le juste dosage entre effroi et burlesque, rire et peur au ventre. Et de se rendre compte que tuer est techniquement si facile, reprendre conscience, intimement, concrètement, de ce que c’est une vie. De ce que c’est une guerre qui n’est pas passée par le prisme d’une chronique journalistique.

Incendies fait partie de ces œuvres nécessaires, totales. Il y a la part du rire et la part des larmes, le temps de la colère et celui de l’amour. Car c’est d’une histoire d’amour dont on nous parle, une histoire belle dans toute son horreur. Une fable où, d’un testament, un frère et une sœur doivent recréer la vie… 

Aurore Krol


Incendies, de Wajdi Mouawad

Mise en scène : Stanislas Nordey (artiste associé au T.N.B.)

Collaboration artistique : Claire Ingrid Cottanceau

Avec : Claire Ingrid Cottanceau (Jihane / Nawal 40 ans), Raoul Fernandez (Hermile Lebel), Damien Gabriac (Simon), Charline Grand (Nawal 14, 19 ans), Frédéric Leidgens (le Médecin / Abdessamad / le Guide / Fahim / Malak / Chamssedine), Julie Moreau (Jeanne), Véronique Nordey (Nazira / Nawal 60 ans), Lamya Regragui (Sawda), Laurent Sauvage (Wahab / Nihad), Serge Tranvouez (Ralph / Antoine / le Soldat 1 / l’Homme)

Scénographie : Emmanuel Clolus

Lumières : Stéphanie Daniel

Création son, régie son : Antoine Guilloux

Costumes : Myriam Rault

Assistant : Mohand Azzoug

Accompagnement vocal : Martine‑Joséphine Thomas

Régie générale : Karl‑Emmanuel Le Bras

Régie lumière : Stéphane Chesnais

Peinture : Yann Chollet

Photos : © Brigitte Enguérand

Théâtre national de Bretagne, salle Jean‑Vilar • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes

Renseignements-réservation : 02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

Du 16 au 18 septembre 2008 à 20 heures

Durée : 1 h 40 sans entracte

23 € | 17 € | 12 € | 8 €

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