« la Tragédie du roi Christophe », d’Aimé Césaire, Théâtre national populaire à Villeurbanne

« la Tragédie du roi Christophe » © Michel Cavalca

Épopée bigarrée

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Christian Schiaretti conclut le cycle qu’il consacre à Aimé Césaire avec « la Tragédie du roi Christophe », une épopée surprenante par sa lucidité politique sans concession et écrite dans une langue somptueuse. Il la confie au collectif burkinabé Béneeré, déjà investi d’une mission semblable dans « Une saison au Congo » en 2013.

1804 : après des années de guerre de libération, mort de la colonie française de Saint-Domingue et proclamation de la république indépendante de Haïti. C’est la première république noire de l’histoire.

Après des années incertaines qui aboutissent à la partition de l’île, Christophe est couronné roi en 1811, dans la cathédrale du Cap, sous le nom de Henri Ier. Quels que soient les péripéties et actes d’importance qui marquent son règne, le désastre et le dénouement sont déjà écrits dans le prologue : cette toute nouvelle république se donne un roi, noir certes, mais un roi avec couronne, cathédrale, ors et soies, jusqu’aux orchestres de chambre calqués sur ceux de France.

On ne peut inventer qu’à partir de ce qu’on connaît et, soucieux de prouver que le peuple noir vaut bien le blanc, qu’il est capable d’accéder à une souveraineté légitime et durable, Christophe imite ce qu’il maîtrise, les fastes de l’Ancien Régime. Et jusqu’à la présence à ses côtés d’un fou, l’insolent Hugolin. Il se montre surtout d’une exigence inconsidérée envers son peuple, à qui il réclame constamment plus de travail, sourd à ses plaintes et au grondement qui monte. Celui‑ci se demande à quoi bon la république, à quoi bon l’égalité, s’il faut vivre encore et toujours dans une misère affligeante et sous le joug d’un labeur harassant.

Christophe mourra terrassé par un accident vasculaire cérébral qui le laissera impuissant face à l’échec de l’œuvre de sa vie.

Grandeur et décadence du roi Christophe

C’est à Marc Zinga que revient le rôle-titre, rôle écrasant puisqu’il est présent sur le plateau pendant la presque totalité du spectacle. Il incarne ce roi devenu tyran par aveuglement, ce monarque au destin brisé, et il le fait avec énormément de nuances et de finesse, beaucoup d’émotion aussi. Il en montre la fureur comme le désespoir, et c’est sur lui que repose une grande partie de la Tragédie du roi Christophe. Auprès de lui, Emmanuel Rotoubam Mbaide campe un Hugolin extrêmement attachant et généreux, véritable confident et révélateur des failles du pouvoir comme il se doit.

La mise en scène fait la part belle au spectacle avec pas moins d’une quarantaine de comédiens sur le plateau, lesquels chantent et dansent, parés de costumes chatoyants, qu’ils soient calqués sur la mode impériale de l’époque ou empruntés aux usages africains : couleurs vives, tissus lumineux, plumes, etc. En fond de scène, dans une espèce de grand cagibi de bois qui n’est pas du meilleur effet, un orchestre de chambre avec le compositeur Fabrice Devienne au piano, une basse, un violoncelle, des percussions, joue une sorte de pot-pourri aux racines indéfinies et plurielles, auquel, pour ma part, et sans méjuger de leur virtuosité, je n’ai pas été très sensible. Cependant, la mise en scène dans son ensemble, et malgré la belle vitalité que montre cette troupe burkinabé, reste assez froide et statique, comme si quelque chose ne « passait » pas. Il est vrai que la parole est parfois couverte par les instruments et rend donc peu compréhensible un texte qui oscille entre discours politiques relativement subtils et poésie très imagée.

Ce spectacle demande encore à être rodé pour prendre véritablement sa juste mesure. Il en porte les promesses… 

Trina Mounier


la Tragédie du roi Christophe, d’Aimé Césaire

Mise en scène : Christian Schiaretti

Avec : Marc Zinga, Stéphane Bernard, Yaya Mbile Bitang *, Olivier Borle, Paterne Boghasin, Mwanza Goutier, Safourata Kaboré *, Marcel Mankita, Bwanga Pilipili, Emmanuel Rotoubam Mbaide *, Halimata Nikiema *, Aristide Tarnagda *, Mahamadou Tindano *, Julien Tiphaine, Charles Wattara *, Rémi Yameogo *, Marius Yelolo, Paul Zoungrana *, et des figurants.

* Collectif Béneeré

Valérie Belinga (chant), Fabrice Devienne (piano), Henri Dorina (basse), Jaco Largent (percussions), Aela Gourvennec ou Lydie Lefebvre (violoncelle en alternance)

Dramaturgie et conseils artistiques : Daniel Maximin, Mathilde Bellin

Musique : Fabrice Devienne

Scénographie, accessoires : Fanny Gamet

Assistante : Caroline Oriot

Lumières : Julia Grand

Son : Laurent Dureux

Vidéo : Nicolas Gerlier

Costumes : Mathieu Trappler en collaboration avec Mathilde Brette

Masques : Erhard Stiefel

Assistant : Mathieu Trappler

Maquillages et coiffures : Françoise Chaumayrac

Photos : © Michel Cavalca

Coproduction : Théâtre national populaire, les Gémeaux, Sceaux

Théâtre national populaire • 8, place Lazare‑Goujon • 69100 Villeurbanne

04 72 77 40 40

http://www.tnp-villeurbanne.com/

Du 19 janvier au 12 février 2016 à 20 heures, sauf les dimanches à 15 h 30 (le dimanche 12 février à 14 h 30)

Durée : 3 heures avec entracte

De 9 € à 25 €

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories