« Laissez‑moi seule », de Bruno Bayen, Théâtre national de la Colline à Paris

Bruno Bayen © Vincent Arbelet

Plaît‑il, mister Bayen ?

Par Élise Noiraud
Les Trois Coups

La soirée que je viens de passer au Théâtre de la Colline demeure pour le moment un mystère. Une sorte de point d’interrogation géant, laissé en suspens au‑dessus de ma tête. Qui m’a baladée de fou rire nerveux en réel intérêt, d’émerveillement furtif en ennui profond et qui m’a laissée, à la sortie du théâtre, les sourcils en circonflexe, signe d’un état hautement dubitatif, et le doigt sur la bouche en une pause songeuse. J’étais là, dans le froid de la rue (ben oui, ma bonne dame, le vent est revenu), incapable de dire un mot sur ce que je venais de vivre durant une heure et demie, et bien en peine de définir ce drôle d’objet théâtral. Qui ne m’a pourtant pas laissée indifférente.

Au départ de Laissez‑moi seule (Let Me Alone), il y a la figure de Lady Di. La princesse, éternelle, celle de nos cœurs et des journaux à scandale, celle qui se rêvait en blanc et a fini bafouée, celle qui n’a pas su trouver sa place dans la rigoureuse et protocolaire monarchie britannique, celle, enfin du Ritz et du pont de l’Alma. Celle aux mille autres visages, que Bruno Bayen choisit comme sujet pour sa pièce, une « chronologie éclatée de la vie de Lady Di ». Sous nos yeux, donc, le palais lui-même, la princesse, le prince Charles, Camilla, mais aussi une foultitude de personnages de l’ombre soudain mis en lumière : femme de chambre, agents d’écoute du palais, embaumeurs du corps de Diana. Diana qui rêve, petite fille, sur son lit superposé, de son prince et de sa vie future en rose bonbon. Diana qui se prend les pieds dans un palais et des obligations trop grandes pour elle. Diana qui crie, rit, pleure, désire, s’écroule, subit, sourit. Et disparaît.

On ne peut qu’applaudir le travail de Clothilde Hesme dans ce rôle. Touchante, drôle, elle nous émeut autant qu’elle nous saisit par sa ressemblance soudaine avec la princesse. Sous la direction de Bruno Bayen, des images émergent, comme des flash-back : soudain, elle est là. C’est la grâce, l’instant se suspend, et, dans l’air, quelque chose se tend. Est-ce notre imaginaire collectif, et la place bien particulière que Diana y a pris qui nous joue ce tour ? Toujours est‑il que le charme opère et que chaque apparition de cette princesse de théâtre produit sur le spectateur un effet très étrange, et presque magnétique.

Peut-être est-ce cette espèce d’envoûtement qui m’a donné l’envie de rester. Mais force est de constater que le sortilège n’a pas opéré sur tout le monde, car la salle s’est vidée au fur et à mesure de la représentation comme je l’ai rarement vu au théâtre. Et, en effet, il demeure qu’une grande partie du spectacle échappe totalement au public, d’une façon parfois assez désagréable. Tout d’abord, on entend très mal ce spectacle. Mais vraiment très mal. Des phrases entières sont restées inaudibles, ce qui est tout de même un peu problématique. Ensuite, l’éclairage très étrange plonge des parties du plateau où l’action se joue dans le noir, sans raison, ou enlève soudainement la lumière du visage d’un acteur qui parle. Mystère. Mais, au-delà de ces soucis techniques, la mise en scène de Bruno Bayen demeure assez obscure, et finit par nous tenir à distance alors qu’elle nous attire plutôt vers la scène au début. Mon oreille a frémi en entendant le début du texte (dont le metteur en scène est aussi l’auteur) : quelque chose d’enlevé, de brillamment construit, de vivant, de drôle, dont l’humour naissait souvent de la complexité même de la forme. Cependant, peu à peu, j’ai perdu le fil. Ils m’ont perdue. Des longueurs inexplicables plombent le rythme du spectacle, si tant est qu’il en ait un propre, tant on a la sensation de sauter d’une chose à une autre sans trouver le fil qui les relie. Le décor imposant écrase les comédiens et leur jeu, et, si l’image offerte est intéressante, l’usage des volumes, lui, l’est beaucoup moins. Les comédiens ne s’envolent pas dans ce décor, ils s’y aplatissent.

Néanmoins, je suis restée. Néanmoins, la belle lady Diana m’a émue. Est‑ce mon cœur de midinette, le même qui a frémi en apprenant, il y a treize ans que la belle princesse était morte, qui s’est réveillé et a eu envie de trembler à nouveau ? Je ne sais pas. Toujours est‑il que, théâtralement, je demeure assez frustrée et, surtout, coincée dans cette question que je brûle de poser à Bruno Bayen et à laquelle son spectacle ne répond pas : mais, enfin, pourquoi? 

Élise Noiraud


Laissez‑moi seule (Let Me Alone), de Bruno Bayen

Mise en scène : Bruno Bayen

Avec : Éric Berger, Lily Bloom, Brice Cousin, Axel Bogousslavsky, Jérôme Derre, Florian Guichard, Clothilde Hesme, Florence Loiret‑Caille, Dominique Valadié

Costumes : Renata Siqueira Bueno

Lumières : Bertrand Couderc

Décor : Michel Millecamps

Collaboration artistique : Philippe Ulysse

Musique : Quentin Sirjacq

Théâtre national de la Colline • 15, rue Malte‑Brun • 75020 Paris

Réservations : 01 44 62 52 52

Du 2 juin au 21 juin 2009, du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi

Durée : 1 h 30

27 € | 19 € | 13 €

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories