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« Le Groenland », de Pauline Sales, au Théâtre national populaire à Villeurbanne

« Le Groenland » de Pauline Sales © Michel Cavalca

Une petite sœur pour Nora

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Comptant parmi les quatre jeunes artistes associés choisis par Christian Schiaretti pour faire partie de son Cercle de formation et de transmission, Baptiste Guiton revient à un texte qu’il a déjà mis en scène il y a dix ans, « Le Groenland » de Pauline Sales.

L’auteure est aussi comédienne et metteure en scène. Elle dirige actuellement Le Préau, le centre dramatique régional de Normandie. C’est dire que l’écriture théâtrale constitue son terrain de jeu. Pourtant, de prime abord, Le Groenland se refuse. Sans doute parce que le sujet est douloureux, sinon indicible.

Seule en scène, une femme parle. Mais il ne s’agit pas d’un monologue. D’abord, elle s’adresse à sa fille, même si nous ne la verrons pas (nous en viendrons même, au fur et à mesure, à douter de son existence). Ensuite, la forme de son discours, tout en allers-retours, en répétitions, laisse penser qu’elle se parle avant tout à elle-même. Dialogue-t-elle avec sa fille ? Est-ce elle, la petite fille invisible ? Bien des pistes sont ouvertes que la comédienne ne referme pas, au contraire.

Tiphaine Rabaud Fournier, avec son débit précipité, ses accentuations soudaines, ses montées sporadiques dans les aigus, mais aussi ses volte-face, ses regards devenus subitement noirs de colère, interprète une femme qui a bien du mal à garder le contrôle. Et pourtant, elle le répète à l’envi : elle entend faire bonne figure, ne jamais baisser la garde ni se laisser surprendre. Part-elle au Groenland ? Oui, mais élégante toujours, apprêtée comme pour une soirée mondaine. C’est ainsi qu’elle fait l’éducation de la petite fille, mais c’est peut-être elle-même qu’elle tente de convaincre ou de rassurer. Pas difficile d’entendre la peur des hommes, même si nous n’en saurons guère plus.

« Le Groenland » de Pauline Sales © Michel Cavalca
« Le Groenland » de Pauline Sales © Michel Cavalca

Une montagne de non-dits

Peurs féminines et peurs maternelles expliquent sa sévérité vis-à-vis de l’enfant, ses sautes d’humeur et ses impatiences, aussi. Surtout si cette mère et sa fille partent effectivement pour un voyage dans le grand Nord. Des bribes émergent de cette logorrhée : l’enfant est un poids mort, une charge qui l’empêche d’aller au bout du monde, au bout d’elle-même. Le périple prend un tout autre sens. Va-t-elle abandonner l’enfant tel un Petit Poucet ? Le propos est scandaleux mais au cœur de la condition féminine comme de la revendication féministe. Ce personnage fracassé est la petite sœur de Nora. Comme le personnage d’Ibsen, elle doit quitter sa Maison de poupée pour partir dans un ailleurs fantasmé, inconnu et périlleux.

Il existe un homme dans cette histoire, en la personne d’un pianiste auquel Sébastien Quencez prête son art et sa présence. Il n’est pas anodin que le musicien soit muet, tour à tour rassurant et importun, lorsqu’il faut contourner, pousser ou désosser le gros instrument…

L’un des points forts de cette mise en scène est son dynamisme. Il doit beaucoup à Tiphaine Rabaud Fournier qui projette cette histoire intime hors d’elle-même vers un interlocuteur imaginaire. Son corps en constante agitation trahit son désarroi et dit sa fuite en avant. La scénographie se réduit à un socle mobile sur lequel est installé ce piano auquel la voyageuse s’appuie ou s’affronte… comme une montagne de non-dits. 

Trina Mounier


Le Groenland de Pauline Sales

Mise en scène : Baptiste Guiton

Jeu : Tiphaine Rabaud Fournier

Piano : Sébastien Quencez

Photo © Michel Cavalca

Théâtre national populaire • 8, Place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne

Du 27 mars au 14 avril 2018 à 20h30, le dimanche 8 avril à 16 heures, relâche le lundi

De 9 € à 25 €


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Lune jaune, la balade de Leila et Lee de David Greig / Par Trina Mounier

 

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