« les Piliers de la société », d’après Henrik Ibsen, l’Élysée à Lyon

« les Piliers de la société » © Augustin Rolland

Une jeune troupe audacieuse
et prometteuse

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

« Les Piliers de la société », avec sa durée, son nombre de personnages, son intrigue touffue entièrement construite autour d’un objectif plutôt didactique, est une pièce peu jouée d’Ibsen. La Grande Tablée, collectif issu de l’E.N.S.A.T.T. qui n’a peur de rien, s’y est pourtant attaqué !

Même si l’auteur norvégien nous a habitués à pourfendre les faux-semblants d’une société rigide et conservatrice, à mettre au jour les dessous des décisions des puissants, à les démaquiller de leurs apparences humanistes pour en révéler l’avidité, cette pièce-ci est assez caricaturale et manque de cette finesse qui fuit l’explicite et laisse sourdre l’équivoque.

Karsten est un notable reconnu pour ses largesses envers la ville. Réputé honnête, cet industriel doublé d’un politique, règne sur la cité comme il dirige ses chantiers navals. L’arrivée impromptue de deux brebis galeuses de la famille va faire éclater une vérité bien dérangeante. Sauf que la brebis galeuse n’est pas celle que l’on croit et que Karsten a tout à perdre dans ce retour : Johann s’est en effet enfui après avoir avoué sa faute dans le vol d’une grosse somme d’argent dans la famille. Nous apprendrons très vite que c’est Karsten le voleur, qui révèle ainsi le lâche individu sans scrupule qu’il est. Quant à Lola, qui revient sur le même bateau que Johann, c’est une femme libre, trop libre pour cette société puritaine et machiste, qui n’accepte les femmes qu’à condition qu’elles se taisent, et Lola ose dire ce qu’elle sait, ce qu’elle voit.

Il n’était sans doute pas nécessaire de forcer le trait et de faire du manipulateur égoïste un voleur de petite envergure…

Qualités et manques du collectif

Construite autour du personnage de Karsten, la pièce foisonne de figures secondaires, autres notables dupliqués à l’identique et épouses charmantes et quasi muettes. Johann comme Lola sont jeunes, joyeux, anticonformistes et sincères. On pourrait donc imaginer une suite à la manière de la Visite de la vieille dame, sauf que ces deux jeunes sont, eux, réellement innocents et sans malice.

Ainsi, la pièce n’a-t-elle pas d’ambition psychologique, domaine où l’auteur excelle habituellement. À la différence d’autres œuvres plus connues, le texte ne pose pas vraiment de question, il démontre, et la mise en scène ne cherche pas à débusquer une quelconque ambiguïté. Se revendiquant collective, elle a les défauts de ses qualités : elle pétille, regorge d’idées, mais manque d’une ligne directrice. Le choix de faire jouer plusieurs rôles à un acteur et chaque rôle à plusieurs comédiens aurait pu désarçonner le spectateur, mais il n’en est rien. Au contraire, ce système apporte du rythme, une sorte d’effervescence. Et ces jeunes acteurs, il faut le reconnaître, s’en tirent à merveille, devenant l’un ou l’autre par la magie d’un manteau jeté sur les épaules ou d’une écharpe dérobée à l’interprète précédant, qui s’en va jouer ailleurs. Cette succession brillante de numéros d’acteurs ne crée malheureusement pas l’émotion, et c’est sans doute celle-ci qui manque le plus.

Une mention toute particulière pour le décor, très inventif et surtout efficace pour introduire la subtilité et donner à voir la fragilité des individus, l’instabilité d’un monde qui vacille : avec ces chaises et ces fauteuils évidés pour le moins inconfortables, ces cailloux irréguliers du petit chemin qui conduit au jardin où marcher tient de l’exercice d’équilibriste, ces claustras qui recouvrent le sol et qui semblent se casser quand on marche dessus, tout dit la difficulté de se tenir debout et droit, l’obligation d’être attentif à ne pas choir, à se surveiller, et cela, vraiment, est diablement parlant.

Pour finir, il faut admettre que cette jeune troupe a beaucoup de talent. Elle sait construire un récit, rendre lisible ce qui est embrouillé, être drôle, jouer juste et bien. Il lui manque encore la cruauté de faire des choix, de tailler ici, de prendre un parti et un seul là. Il est vrai que le soir où j’assistais au spectacle était celui de la générale. Au moins une journée d’ajustements et de maturation aurait été nécessaire. Ils en ont accepté le risque, qu’ils en soient remerciés. Gageons que le spectacle gagnera en intensité avec le temps, même si, nous le répétons, cette pièce ne figure pas au rang des chefs-d’œuvre d’Ibsen. 

Trina Mounier


les Piliers de la société, d’après Henrik Ibsen

Traduction : Terje Sinding (Imprimerie nationale-Le Spectateur français)

Mise en scène : La Grande Tablée

Porteurs de projet : Noé Mercier et Louka Petit-Taborelli

Jeu : Liza Blanchard, Joseph Bourillon, Pierre Cuq, Sophie Engel, Noé Mercier, Manon Payelleville, Mathieu Petit, Louka Petit‑Taborelli

Équipe technique : Gautier Devoucoux, Gwladys Duthil, Cerise Guyon, Augustin Rolland

Administration : Laure Barthez

Photos du spectacle : © Augustin Rolland

En partenariat avec l’E.N.S.A.T.T., Théâtre du Monde, Théâtre de l’Arentelle, la région Rhône-Alpes

Spectacle proposé dans le cadre de l’opération Balises Théâtres (une place achetée/une place offerte sur le site www.balises-theatres)

L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon

Réservations : 04 78 58 88 25

Site du théâtre : www.lelysee.com

Du 22 au 25, puis du 28 au 30 avril 2015 à 19 h 30, et le mardi 28 à 15 heures

Durée : 1 heure

De 12 € à 8 €

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