Poésie vivante
Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups
En hommage à Robert Desnos, surréaliste et résistant, « les Quatre sans cou » nous montre les deux facettes du maître d’œuvre Christian Olivier, ici en retrait de sa faconde et de sa hargne jouissive bien connue des Têtes raides pour être tout au service du texte, des textes.
Troisième d’une série inédite de « concerts au théâtre » qui a commencé avec Birds on a Wire de Rosemary Standley et Dom La Nena, les Quatre sans cou la closent en beauté. Ce sont vraiment des moments doux et singuliers que ces concerts au théâtre, qui bénéficient d’une écoute et d’un silence assez inédits dans ces spectacles-là. C’est incongru et dépaysant, mais ici avec la certitude de retrouver un vieil ami (ou plutôt, pour ma part, un vieux grand frère), en la personne de Christian Olivier.
Comme un écho à l’album Corps de mots, qui faisait la part belle à la plupart des mêmes auteurs, le chanteur-diseur déroule pour nous le fil de poèmes qui lui sont chers – et qui ne sait pas comme un texte cher peut résonner à ses oreilles comme le récit de sa propre vie ? C’est à une visite de lui-même par fragments, une reconstitution de la colonne vertébrale de son inspiration poétique jamais démentie, que l’on assiste ici. Même si c’est parfois un peu déstabilisant de ne pas savoir où l’on en est dans cette revue littéraire, la magie saisit très vite, et on se laisse prendre aux jeux des sonorités et des ressemblances.
La malice de Queneau, la gravité de Maïakovski, la dureté de Houellebecq, la douceur de Prévert, l’engagement d’Alexandre Blok, la surréalité de Tristan Tzara et les jeux de mots en pagaille de… Desnos, qui boucle la boucle d’un panorama qu’a traversé la folie. On fouille avec lui sa bibliothèque, disposée respectueusement, comme sur un autel, sur une petite table de bois qui forme sobrement le seul décor de la scène, avec un micro et trois chaises… Mais les livres occupent toute la place, et les mots emplissent l’espace à tel point qu’il n’y a plus besoin de décor.
L’intensité de l’interprète au corps en ciseaux ne se dément pas ; malgré la toux incontrôlable qui le prend sur scène, malgré sa modestie d’oiseau noir, malgré la simplicité avec laquelle il se présente devant nous, il lui est difficile de ne pas voler la vedette aux deux musiciens qui l’accompagnent. Mais soyons justes : l’accordéon virevoltant de Thierry Bartalucci, la guitare subtile de Serge Begout offrent un écrin parfait aux mots qui sonnent tantôt comme des tocsins, tantôt comme des soupirs. Musicien dans l’âme, l’interprète ne manque pas d’y imposer son rythme, d’y faufiler sa parole. Un autoportrait sensible et engagé, hommage à la poésie comme à la musique : unies ne pourraient-elles pas changer le monde ? ¶
Sarah Elghazi
les Quatre sans cou, lecture-concert de Christian Olivier, Serge Begout et Thierry Bartalucci
Christian Olivier : lecture et chant
Serge Begout : guitare
Thierry Bartalucci : accordéon
Photo : © Simon Gosselin
Production : S.A.R.L. Mon slip
L’album Corps de mots est disponible aux éditions Mon pauvre ami, label Tôt ou tard
La soirée est organisée en partenariat avec le Grand Mix à Tourcoing, L’Aéronef à Lille et les Inrockuptibles
Liste des extraits de textes dans l’ordre de lecture :
- le Nuage en pantalon, Vladimir Maïakovski
- Enterré vivant, Sadegh Hedayat
- les Quatre sans cou, Robert Desnos
- Madeleine, Ghérasim Luca
- Préface des Diablogues, Roland Dubillard
- la Nuit spirituelle, Lydie Dattas
- Extraits de textes, Philippe Soupault
- Poésie, Michel Houellebecq
- l’Orgue de barbarie, Jacques Prévert
- Chanson de fou, Émile Verhaeren
- Air sous verre, Jean-Louis Giovannoni
- Un enfant a dit, Raymond Queneau
- les Douze, Alexandre Blok
- l’Homme approximatif (extraits), Tristan Tzara
- Traité de la négation, Fernando Pessoa
Théâtre du Nord • place du Général-de-Gaulle • 59000 Lille
Réservations : 03 20 14 24 24, de 13 heures à 18 h 30 et sur www.theatredunord.fr
Lundi 18 mai 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 30
20 € | 15 € | 10 €