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« Les Trois Coups » signalent les parutions récentes consacrées au théâtre à ne pas manquer [5]

Bulletin no 5 : en librairie…

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups

Monographies, biographies, mémoires, rééditions de classiques…

L’Énigme Stefan Zweig, de Francis Huster

Préface d’Éric‑Emmanuel Schmitt

Le Passeur, 2015

Avec Shakespeare et Agatha Christie, Stefan Zweig (1881-1942) est l’un des écrivains étrangers les plus lus en France. Si ses pièces de théâtre originales sont délaissées, on ne compte plus les adaptations dont ses nouvelles font l’objet.

Francis Huster, qui a joué le Joueur d’échecs au Théâtre Rive-Gauche ces dernières saisons, s’est attaqué, dans la foulée, à l’énigme du plus célèbre des suicidés de la littérature, qui s’est donné la mort, avec son épouse Charlotte, le 22 février 1942, au Brésil, persuadé qu’il « ne pouvait plus y avoir de justice dans ce monde d’horreur ».

Comme le souligne Éric‑Emmanuel Schmitt dans sa préface, cette biographie fait de Zweig un personnage zweiguien, le contraire d’un héros. Huster en révèle la fragilité, les failles, l’âme divisée. Il remet ainsi les pendules à l’heure, corrigeant le portrait « flatteur, romantique, falsificateur » que l’on trace généralement de l’écrivain, dont la famille était installée à Vienne, en en faisant un « être désuet, fragile et déprimé ». Le comédien biographe dépeint autrement le jeune poète maudit, ivre de schnaps et de putains lascives, débauché, n’étant pas porté sur son ascendance juive, et rêvant de s’imposer à Vienne. Suivent l’autopsie minutieuse de sa vie, ses amitiés littéraires et musicales, ses amours, son intérêt pour le pacifisme…

Mais l’essentiel est ailleurs : pourquoi Zweig n’a-t-il pas dénoncé la monstruosité nazie alors qu’il en avait les moyens ? Avec une sévérité sans demi-mesure, qui renvoie à sa propre générosité et à son enthousiasme humaniste, Huster le montre face à la « résistible ascension du mal » qu’il n’a pas su repousser et qui l’a tué.

223 pages, 18,50 €

http://www.le-passeur-editeur.com/les-livres/essais/l-%C3%A9nigme-stefan-zweig/

Le Théâtre du peuple de Bussang, cent vingt ans d’histoire, de Bénédicte Boisson et Marion Denizot

Préface de François Rancillac

Actes Sud, 2015

La référence au Théâtre du Peuple de Bussang est incontournable pour aborder l’utopie du théâtre populaire. Tentant de reproduire les principes du théâtre antique grec, des tréteaux médiévaux et de la scène élisabéthaine, Maurice Pottecher (1867-1960), en fondant son théâtre dans les Vosges en 1895, à deux pas de la fabrique familiale, entend s’adresser au peuple dans son ensemble.

Il conçoit le spectacle comme une fête qui se doit d’exalter l’âme nationale en « faisant communier dans la même émotion grave ou joyeuse des hommes suspendus à des espérances communes ». Tout le contraire du théâtre bourgeois. Il s’agit pour lui d’unir et non de diviser.

La représentation inaugurale du Diable marchand de goutte, dont il est l’auteur et qu’il met en scène, rassemble environ deux mille personnes : ouvriers, paysans, bourgeois lettrés ou voyageurs de passage, jeunes et moins jeunes.

L’année suivante, est apposée sur le cadre de scène la devise : Par l’art, pour l’humanité : le théâtre populaire est explicitement présenté comme un humanisme.

Ami de Romain Rolland, Pottecher influencera bien sûr Firmin Gémier, le directeur du premier Théâtre national populaire en 1920, dont Jean Vilar se souviendra à son tour quelque trente et un ans plus tard…

La réflexion et l’expérimentation de Pottecher ne portent pas seulement sur la composition du public, mais d’abord sur le répertoire, sur le jeu des acteurs (qu’il invite à réformer) tout autant que sur la scénographie et l’architecture théâtrale. Le dispositif qu’il conçoit présente ainsi l’originalité d’ouvrir le fond de scène sur la forêt.

Le plus étonnant dans cette affaire, c’est que cent vingt ans après sa fondation, le Théâtre de Bussang, plusieurs fois reconstruit, existe toujours. Chaque été, beaucoup s’y rendent comme en pèlerinage, pour un programme mêlant professionnels militants et amateurs, dans la même fraternité.

Conçu par Bénédicte Boisson et Marion Denizot, universitaires spécialistes des arts de la scène, l’ouvrage est pédagogique et richement illustré. La partie historique ne concerne que la première moitié des pages environ. Le reste du livre développe la perpétuation du projet qui irrigue les territoires alsacien, franc-comtois et lorrain. Une utile chronologie situe les principales étapes de cette aventure originale.

Depuis 2012, Vincent Goethals dirige la structure, tandis que l’Association du Théâtre du Peuple – Maurice‑Pottecher est présidée par François Rancillac.

304 pages, 30 €

http://www.actes-sud.fr/catalogue/essais-et-ecrits-sur-le-theatre/le-theatre-du-peuple-de-bussang

Carolyn Carlson, de l’intime à l’universel, de Thierry Delcourt

Actes Sud, 2015

Un parcours en neuf séquences, conçu par le psychiatre et psychanalyste Thierry Delcourt, pour cheminer dans la création de l’une des artistes américaines les plus singulières du xxe siècle, révélée au public lors du Festival d’Avignon, en 1972.

Chorégraphe, danseuse, calligraphe (la Bibliothèque nationale de France lui a consacré une exposition il y a quelques mois), poètesse, pédagogue, Carolyn Carlson, actuellement en résidence au Théâtre national de Chaillot, poursuit sa création artistique depuis plus de cinquante ans.

L’approche est thématique et analytique, l’ouvrage rompant avec la chronologie de la vie et de l’œuvre. Une place centrale y est donnée aux rencontres. Une excellente introduction, nourrie de nombreux entretiens avec l’artiste, pour découvrir le phénomène Carlson, entre poésie visuelle et théâtre total.

L’essai est illustré de photographies personnelles de Carolyn Carlson ainsi que de maints clichés de spectacles. L’œuvre chorégraphique est entièrement répertoriée en annexe, à la fin du volume, avant des indications bibliographiques succinctes et une filmographie.

400 pages, 25 €

http://www.actes-sud.fr/catalogue/danse/carolyn-carlson

Ostermeier Backstage, de Gerhard Jörder

Traduit de l’allemand par Laurent Muhleisen et Franck Weigand

L’Arche, 2015

Né en 1968 dans un milieu très simple, après une enfance difficile, Thomas Ostermeier s’est rapidement imposé comme l’un des principaux metteurs en scène européens de sa génération. Visage du théâtre allemand, il est, depuis 1999, codirecteur de la Schaubühne, qui rayonne à Berlin et dans le monde entier avec une centaine de dates en tournée par an. À 47 ans, il a déjà réalisé près d’une soixantaine de mises en scène dont la liste est donnée en annexe.

Ostermeier est particulièrement apprécié en France où il fut révélé par le festival Théâtre en mai de Dijon dès 1995. Il fut artiste associé au Festival d’Avignon en 2004, et son Richard III est l’une des réussites de l’édition 2015. Très convoité, il a décliné ces dernières années la proposition de diriger L’Odéon, la Comédie-Française, le Festival d’Avignon, le Festival d’automne… Et à Londres, il a également refusé la direction de la Royal Shakespeare Company…

Les entretiens avec le critique de théâtre Gerhard Jörder, réunis par Verlag Theater der Zeit et publiés par L’Arche en version française, ont été réalisés entre août 2013 et janvier 2014. Ostermeier se définit lui-même comme le « petit frère des déconstructivistes » pour qualifier son esthétique et son mode de narration qui souligne les lignes de fracture, mais qui reconstruit.

Avec beaucoup de simplicité et une grande clarté, de l’humour aussi, il dit son mépris pour la télévision et prédit la fin prochaine de Facebook… Il explique surtout son attachement à Berlin et à son public. Son rêve ? Monter une compagnie avec 8 comédiens et 5 techniciens seulement dans un loft, avec 150 places et pour 100 représentations par an. Un « rêve absolu. Un rêve à la Ariane Mnouchkine » !

Ces échanges constituent une plaisante et rapide introduction à la situation et au fonctionnement du théâtre en Allemagne, tout en dressant, en contrepoint, un foisonnant panorama des arts de la scène européens.

142 pages, 22 €

http://www.arche-editeur.com/publications-catalogue.php?livre=674

Rodolphe Fouano

Lire aussi Richard III (critique no 2).

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Lire aussi John Gabriel Borkman à Rennes.

Lire aussi Hedda Gabler.

Lire aussi Hamlet à Sceaux.

Lire aussi Hamlet, Festival d’Avignon.

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