« Madame Raymonde revient », de Denis d’Arcangelo et Philippe Bilheur, Théâtre de l’Épée‑de‑Bois à Paris

« Madame Raymonde » © Philippe Matzas

L’archange
des faubourgs

Par Estelle Gapp
Les Trois Coups

Pour la première édition du festival Diva à la Cartoucherie de Vincennes, le Théâtre de l’Épée-de-Bois se devait d’inviter Denis d’Arcangelo, inoubliable Monsieur Loyal du « Cabaret des hommes perdus ». Loin des one-(wo)man-show qui envahissent les scènes contemporaines, « Madame Raymonde » offre, depuis plus de vingt ans, un tour de chant drôle et émouvant, en hommage à Arletty et à la chanson réaliste. Un magnifique talent d’interprète, où se devinent d’autres influences : le clown, les claquettes, l’improvisation. Un retour aux fondamentaux de la scène. Une consécration.

Avec sa robe à fleurs et son ton gouailleur, Madame Raymonde n’est pas l’une de ces « vamps » à l’humour incertain. Au-delà d’un simple numéro de travesti, Denis d’Arcangelo s’inspire du personnage Arletty, légendaire Madame Raymonde du film de Marcel Carné, Hôtel du Nord. Sur un air d’accordéon – « cet instrument qui vous donne envie d’aller décrocher la lune » –, le spectacle commence par la reprise d’une célèbre chanson d’Arletty : La femme est faite pour l’homme / Comme le pommier pour la pomme. Entre deux verres de rouge, Madame Raymonde annonce le programme des festivités : « Nous croiserons donc au milieu de ce spectacle, dans le désordre, des thèmes comme les rouquines, les obèses, la drogue, le tabac, l’alcool, le vin en particulier, la prostitution, l’amour, l’argent, les sacs à main, et bien sûr… la femme ».

Accompagné par « le Zèbre » – émouvant Sébastien Mesnil, qui joue de son piano à bretelles comme d’« un orchestre symphonique » –, Denis d’Arcangelo fait revivre le répertoire de la chanson réaliste de l’entre-deux-guerres : nous découvrons, au passage, l’existence de Gaby Montbreuse et sa fameuse chanson : Tu m’as possédée par surprise. À travers son personnage de prostituée usée par la vie, le comédien ressuscite toute une époque, celle des guinguettes et du tabac à chiquer : « Du gris que l’on prend entre ses doigts / C’est fort, c’est âcre comme du bois / Ça vous saoule / Ça vous laisse un goût presque louche / De sang, d’amour et de dégoût / Dans la bouche ».

Tendrement nostalgique, le spectacle rend hommage à ces artistes populaires, aujourd’hui oubliés, qui inspireront, plusieurs générations plus tard, Piaf, Brel, Aznavour. Avec l’insolence du titi parisien, Denis d’Arcangelo s’amuse à la parodie : « Je me voyais déjà / En bas de l’affiche ». Il se moque tendrement de « la Môme », dont le surnom s’inspire d’une chanson de Gaby Montbreuse, la Môme-Moineau. Et lorsque s’égrènent les « trois petites notes » de la Chanson de Bilbao, l’émotion est à son comble. On croit remonter le temps, croisant Yves Montand, Catherine Sauvage, Boris Vian, Bertolt Brecht, Kurt Weil. « Vieille lune de Bilbao, que l’amour était beau »…

Avec une maîtrise du rythme et de l’improvisation, Denis d’Arcangelo esquisse quelques pas de claquettes. On devine l’exigence technique sous l’apparente désinvolture du personnage. On devine l’immense travail du comédien, à la fois chanteur et clown. Le texte, intense, joue sur l’absurde : « des bigorneaux bigorneautent dans la rue ». Malgré quelques longueurs à la fin des deux heures du spectacle, malgré une rupture un peu brutale entre le rire et les larmes, les spectateurs, conquis, rient aux éclats. Dans le public, Madame Raymonde a le mérite de réconcilier les générations : le troisième âge y côtoie un jeune public gay. Après Madame Raymonde se paye des congés payés, en 1992, et Madame Raymonde chef de gang, en 1995, aujourd’hui, Madame Raymonde, la « décadente », entre dans la légende. 

Estelle Gapp


Madame Raymonde revient, de Denis d’Arcangelo et Philippe Bilheur

Spectacle musical

Avec : Denis d’Arcangelo et Sébastien Mesnil (accordéon)

Photo : © Philippe Matzas

Dans le cadre du festival Diva, du 16 mai au 8 juin 2008

http://www.divamusic.fr

Théâtre de l’Épée-de-Bois • Cartoucherie de Vincennes • route du Champ-de-Manœuvre • 75012 Paris

Informations : 01 48 08 39 74

Représentation unique le lundi 26 mai 2008 à 21 heures

Durée : 1 h 45

Pass 2 spectacles 30 € | 20 €

Pass 5 spectacles 55 € | 40 €

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant