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« Margot », d’après Christopher Marlowe, Théâtre des Célestins à Lyon

« Margot » d’après Christopher Marlowe – Mise en scène de Laurent Brethome © Philippe Bertheau

Les noces sanglantes de Laurent Brethome

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Laurent Brethome revient à un projet qui lui tient à cœur : «  Margot », une adaptation du drame de Christopher Marlowe, « Massacre à Paris ». En grand format, avec panache et adrénaline. Époustouflant !

Laurent Brethome a présenté une première adaptation bluffante de Massacre à Paris, il y a près de quatre ans, dans des conditions sommaires, avec les élèves de dernière année du Conservatoire de Lyon. À la fougue de la jeunesse s’ajoutaient déjà la rigueur et la puissance d’un grand metteur en scène. C’est qu’il faut de la force pour monter cet épisode sombre et sanglant de notre histoire de France. Mais la contrainte fait souvent flamber la création, en la poussant dans ses retranchements. Qu’allait donc devenir ce spectacle sur le magnifique plateau du Théâtre des Célestins, avec une pléiade d’acteurs très jeunes et pleins de ferveur, mais déjà confirmés ? On pouvait craindre un affadissement. Or, c’est tout le contraire qui se produit.

Pour commencer, le metteur en scène a commandé une nouvelle traduction à Dorothée Zumstein et, comme Marlowe a laissé son drame inachevé, il lui a demandé des textes additionnels. Dans sa pièce, l’auteur racontait, vingt ans après les faits, les noces sanglantes de Marguerite de Valois avec le protestant Henri de Navarre, futur Henri IV,  prélude à la Saint-Barthélémy. Le contexte historique du spectacle couvre désormais toutes les guerres, y compris d’aujourd’hui, notamment grâce à une langue très contemporaine. 

« Margot » d’après Christopher Marlowe, mise en scène de Laurent Brethome © Philippe Bertheau
« Margot », d’après Christopher Marlowe, mise en scène de Laurent Brethome © Philippe Bertheau

L’odeur de la charogne

L’adaptation de Laurent Brethome ne peut qu’évoquer le martyre des civils d’Alep ou de Mossoul, car il met en scène la barbarie, l’obscénité de la vengeance, la vulgarité des hommes de main, à grand renfort de sang qu’il jette sur le plateau comme sur ses acteurs. Leur engagement physique, de véritables performances gymniques et chorégraphiques, des corps à corps aussi bien sexuels que meurtriers, nous laissent pantois. On suit l’enchaînement des trahisons et des intrigues, la course effrénée et aveugle aux plaisirs des puissants, le délire mortifère, avec un effroi digne des polars. Le déluge de lumière mêlant l’obscurité et les flots aveuglants, maîtrisé par David Debrinay, et la musique aux accents discordants, composée par Jean-Baptiste Cognet, laissent presque sentir l’odeur de la charogne.

En changeant le titre, Laurent Brethome laisse entendre qu’il resserre la pièce autour de Margot. Ce n’est pas tout à fait vrai. Quasi muette dans la première partie, dont nous admirons le dispositif scénique bifrontal permettant à quelques dizaines de spectateurs de participer à la noce, elle assiste ensuite passivement, telle une victime tétanisée, au déchaînement des passions.

« Margot » d’après Christopher Marlowe – Mise en scène de Laurent Brethome © Philippe Bertheau
« Margot », d’après Christopher Marlowe, mise en scène de Laurent Brethome © Philippe Bertheau

Une conscience se lève

La seconde partie débute avec sa seule présence, assise au centre d’un cercle de lumière, toujours silencieuse, mais intensément occupée à penser. Puis elle se lève pour incarner un long monologue d’une grande beauté poétique, avec un refrain lancinant : « J’avance vers vous depuis ma nuit. Le cuir de mes semelles colle au sol… ». Pas de doute, une conscience est née, une femme aussi, avec des revendications de liberté individuelle. Elle n’interviendra plus. Mais il suffit qu’elle se soit levée, seule, avec courage et détermination, pour porter toutes les résistances du monde et donner son nom à la pièce qu’elle illumine. Savannah Rol lui prête sa présence, son jeu subtil, intelligent et sensible.

L’ensemble de la distribution est de haute volée, avec une mention toute particulière pour Julien Kosellek, dans le personnage du duc de Guise machiavélique et manipulateur, dénué de conscience et de retenue. À saluer, également, l’interprétation de Thierry Jolivet, dont le rôle complexe exige beaucoup de doigté, et surtout celle de Fabien Albanese, fabuleux en roi falot et capricieux, absorbé par ses mignons.

Il faudrait parler encore des images somptueuses, même dans leur brutalité, de cette métonymie des chaussures qui tombent sur le sol, comme autant de corps, par exemple, faisant référence aux camps de la mort, comme aux montagnes de souliers d’Handicap International. Mais c’est à peine si on a le temps d’en apprécier la beauté, car le flux de l’histoire nous emporte comme fétus de paille. 

Trina Mounier


Margot, d’après Massacre à Paris de Christopher Marlowe

Traduction inédite et textes additionnels de Dorothée Zumstein parus aux Nouvelles Éditions Jean-Michel Place

Mise en scène : Laurent Brethome

Avec : Fabien Albanese, Florian Bardet, Heidi Becker-Babel, Maxence Bod, Vincent Bouyé, Dominique Delavigne, Leslie Granger, Antoine Herniotte, François Jaulin, Thierry Jolivet, Julien Kosellek, Clémence Labatut, Denis Lejeune, Nicolas Mollard, Savannah Rol et Philippe Sire

Lumière : David Debrinay

Musique : Jean-Baptiste Cognet, Gaspard Charreton

Scénographie et costumes : Rudy Sabounghi

Dramaturgie : Catherine Ailloud-Nicolas

Production : LMV- Le Menteur volontaire

Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon

Du 17 au 24 janvier 2018 à 20 heures, sauf le dimanche à 16 heures, relâche le lundi

Durée : 2 h 35 avec entracte

De 9 € à 38 €

En tournée :

  • les 26 et 27 janvier à Château rouge – Annemasse
  • les 30 et 31 mai au Trident – Scène nationale de Cherbourg-Octeville

 


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Riquet, par Michel Dieuaide

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