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« Nathan le Sage », de Gotthold Ephraïm Lessing, Théâtre du Nord à Lille

« Nathan le Sage » © Éric Legrand

L’homme sans préjugés

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

Éternelle modernité des classiques… « Nathan le Sage », hymne à la tolérance écrit par Gotthold Ephraïm Lessing en 1779, au cœur des Lumières, n’a rien perdu de l’actualité de son message. En 2008, dans la mise en scène respectueuse de Laurent Hatat, il résonne avec les mêmes accents dans un monde toujours en proie aux croisades contre l’Autre.

Dans une Allemagne déchirée par les errances de la Contre-Réforme, Lessing a en effet conçu une perle d’humanisme presque anachronique. À Jérusalem, autour de la trêve consécutive à la victoire du sultan Saladin contre les Croisés en 1178, il noue, dans cette ville aujourd’hui encore torturée par la haine religieuse, les fils d’un conte bienveillant dont les principaux protagonistes incarnent les trois religions monothéistes : le judaïsme incarné par Nathan, le christianisme par un templier et l’islam par Saladin.

Résumé ainsi, Nathan le sage pourrait se limiter à un débat d’idées. Mais l’humanisme de Lessing transparaît aussi dans une dramaturgie foisonnante qui laisse place à l’évolution personnelle des personnages, dont la complexité ne se résume pas à des archétypes. C’est avant tout par leurs actes, lâches ou héroïques, que ceux-ci sont identifiés, avant que de l’être par leur religion ou leur origine. D’ailleurs, au conte philosophique, la pièce mêle – avec plus ou moins de vraisemblance, mais là n’est pas le sujet – la comédie familiale classique, avec mariage impossible et révélations sans fin.

Au service du texte et de ses résonances modernes, Laurent Hatat a opté pour une contextualisation contemporaine discrète de l’action, placée dans un espace-temps à la fois actuel et neutre. Tout ici est dédié à la circulation des esprits, de leurs idées et de leurs sentiments ; rien ne doit leur faire obstacle. Le plateau modulable, qui figure tour à tour le cœur de la cité, la maison de Nathan ou le palais de Saladin, est une vaste agora sombre, trouée de rares puits de lumière, d’or et de sable, comme pour rappeler le caractère unique, précieux et fugitif de cette histoire et de cette brève période d’accalmie entre deux croisades.

Rien n’est figé : le décor change au gré des mouvements de pans de murs mobiles, jusqu’à cet espace ouvert, à la fois sobre et empreint de merveilleux mais sans pittoresque aucun, du palais de Saladin, sultan tolérant et prodigue. C’est dans ce lieu presque magique que l’on assiste à la parabole des anneaux racontée par Nathan, et qui fait se réconcilier trois frères ennemis…

Le thème de la fraternité sera d’ailleurs exprimé sous toutes ses formes tout au long de cette pièce aux doux accents prérévolutionnaires. Cette « folle journée », terme emprunté par Laurent Hatat à Beaumarchais, se conclura par un « coup de théâtre » quasiment burlesque, qui rassemblera sous un même toit des liens familiaux distendus par la méfiance et le rejet… Le rythme qui s’emballe, la jeunesse et l’allant des acteurs, tous excellents, nous fait passer avec fluidité de la gravité au rire. Et de beaux moments de théâtre laissent affleurer, sous le didactisme apparent de Lessing, la folie salutaire de ceux qui accueillent en eux le divers. 

Sarah Elghazi


Nathan le Sage, de Gotthold Ephraïm Lessing

Traduit de l’allemand par Dominique Lurcel, éd. Gallimard, collection « Folio-Théâtre »

Mise en scène : Laurent Hatat (artiste associé au Théâtre du Nord à Lille)

Avec : Azeddine Benamara, Manuel Bertrand, Mounya Boudiaf, Olivier Brabant, Sarah Capony, Alexandre Carrière, Daniel Delabesse, Céline Langlois, Damien Olivier, Bruno Tuchzser

Conseiller artistique : Laurent Caillon

Assistanat à la mise en scène : Céline Hilbich

Scénographie : Antonin Bouvret

Lumières : Philippe Lacombe

Costumes : Martha Romero

Univers sonore : Martin Hennart

Images : Lucie Lahoute

Travail vocal : Jacques Schab

Photo : © Éric Legrand

Production : Théâtre du Nord ; Cie Anima motrix ; Nouveau Théâtre de Besançon-C.D.N. de Franche-Comté ; Théâtre de la Commune-C.D.N. d’Aubervilliers

Théâtre du Nord • 4, place du Général-de-Gaulle • 59026 Lille

Réservations : 03 20 14 24 24, de 13 heures à 18 h 30

Du 6 au 9 octobre 2009 (reprise avant tournée), à 20 heures, sauf le jeudi 8 octobre 2009 à 19 heures

Durée : 2 h 15

23 € | 20 € | 16 € | 10 € | 7 €

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