Passion, fureur et sacrifice
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Grand succès auprès du public pour cette « Norma » de Vincenzo Bellini, mise en scène à l’Opéra de Rennes par Nicola Berloffa. Les cinq représentations prévues se jouent à guichets fermés.
Le sujet de Norma doit beaucoup au mythe de Médée. Il a été emprunté, par le librettiste Felice Romani, à Norma ou l’Infanticide, une tragédie du dramaturge Alexandre Soumet, bien oublié aujourd’hui.
L’action se déroule en Gaule, aux environs de 50 avant notre ère. Norma, grande prêtresse du temple druidique d’Irminsul, a rompu son vœu de chasteté en faveur de Pollione, le proconsul romain, dont elle a eu deux enfants. Elle apprend que celui-ci ne l’aime plus, mais a séduit Adalgisa, une jeune prêtresse, son amie. Elle est d’abord prête à tout, même à l’infanticide, pour reconquérir son amant ou à défaut s’en venger. L’originalité de Romani et Bellini est d’avoir épargné ce crime horrible à Norma pour en faire une héroïne qui se grandit par sa mort.
Nicola Berloffa n’est pas un inconnu pour les Rennais qui, l’an passé, avaient plébiscité sa Carmen. Pour cette Norma, il a « choisi de la situer au XIXe siècle, à la date de la sortie de l’opéra, au cœur des guerres et des révolutions, pour le débarrasser des clichés ». Les soldats gaulois portent des uniformes qui font penser au 2nd Empire, les partisans ont aussi des costumes très sombres. Quant aux Romains, ils sont vêtus de clair et leur costume n’a rien de militaire. Malgré leur somptuosité, l’effet est plutôt déroutant.
L’alliance de la tragédie et du bel canto
L’ouverture du premier acte mêle adroitement le dramatique et le martial avec des passages plus vifs ; l’un d’eux à la flûte paraîtrait même presque léger. Dès ces premiers moments, l’Orchestre Symphonique de Bretagne, sous la direction attentive de Rudolf Piehlmayer, montre une richesse de timbres et un brio orchestral qui ne se démentira pas.
On sait que Norma est un des rôles les plus difficiles du répertoire. Or, la soprano sicilienne Daniela Schillaci s’en sort avec les honneurs. Elle nous a bien fait peur dans les premiers récitatifs avec des parasites métalliques dans la voix, mais les choses sont rentrées dans l’ordre dès sa première aria, la fameuse « Casta diva », dont elle a su éviter tous les pièges et rendre le pathétique. À l’aise dans les passages intimes, elle rend touchante la mère blessée, et pathétique l’amante outragée. Elle a toutefois peiné à incarner l’auctoritas et la potestas de la grande prêtresse. Telle est la principale difficulté de cette œuvre qui exige la virtuosité du bel canto et la profondeur de la tragédie.
À côté d’elle, sa rivale, Adalgisa est interprétée avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité par Claudia Pavone (soprano). La jeune chanteuse est un des espoirs de la scène lyrique, d’autant que c’est une excellente comédienne. Angelo Villari (ténor) est un Pollione qui a plutôt l’air d’un soudard machiste que d’un grand amoureux avant d’être sauvé par les derniers moments de l’opéra. Enfin, la basse Christophoros Stamboglis, aux graves très profonds, a toute la majesté qui convient au grand prêtre et au chef de guerre qu’il est. Il sait rendre sensible sa douleur de père dans les derniers moments de l’opéra.
On ne peut passer sous silence le rôle du Chœur de l’Opéra de Rennes (direction Gildas Pungier). À l’instar de la tragédie antique, et toutes proportions gardées, le chœur est un acteur et un commentateur de l’action. On a beaucoup aimé celui des hommes, notamment.
Bref, cette production, servie par des interprètes qui se donnent vraiment, sort des sentiers battus. Elle a su conquérir le cœur des Rennais, à juste titre. ¶
Jean-François Picaut
Norma, de Vincenzo Bellini
Opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani,
d’après la tragédie d’Alexandre Soumet, Norma ou l’infanticide.
Éditions Ricordi (1831)
Direction musicale : Rudolf Piehlmayer
Mise en scène : Nicola Berloffa
Avec : Angelo Villari, Christophoros Stamboglis, Daniela Schillaci, Claudia Pavone, Sophie Belloir, Florian Cafiero, Régine Beaugendre, Marie-Joëlle Le Gouic, Véronique Rouzeval, Alix Diveu-Touchard, Léo Gravelat Raymond, Liam Regnault
Scénographie : Andrea Belli
Chorégraphie : Emmanuel Gazquez
Costumes : Valleria Donata Bettella
Lumières : Marco Giusti
Chef de chant : Elisa Bellanger
Orchestre Symphonique de Bretagne, Directeur Musical Grant Llewellyn
Chœur de l’Opéra de Rennes, direction Gildas Pungier
Production du Teaser St Gallen (Suisse)
Durée : 2 h 30
Photo : « Norma » © Laurent Guizard
L’Opéra de Rennes, • Place de l’Hôtel de Ville • BP 3126, • 35031 Rennes Cedex
Les 28 et 30 mai, 1er et 5 juin, à 20 heures, le 3 juin 2018 à 16 heures
De 51 € à 11 €
Réservations : 02 23 62 28 28