« No(s) révolution(s) », de Mickael de Oliveira et Ulrike Syha, la Coopérative à Belfort

Nos(s) révolution(s) © Simon Gosselin

Pas (encore) révolutionnaire

Par Maud Sérusclat-Natale
Les Trois Coups

La metteuse en scène Anne Monfort, chère aux Belfortains car le Granit a été le berceau de nombre de ses créations, y revient pour présenter son dernier travail. « No(s) révolution(s) » est le fruit d’une collaboration pour le moins originale avec deux auteurs : l’une allemande et l’autre portugais, qui interrogent ce qui fait révolution et, peut-être, ce qui nous manque aujourd’hui pour reprendre le pouvoir.

Alors que nous nous installons, les quatre comédiens, deux Français, une Allemande et une Portugaise, jouent aux devinettes. Juchés sur des socles de statues, ils miment les grandes figures des paysages politiques d’Europe. Très proches du public, ils se souviennent et, souvent dans leur langue maternelle, cherchent à expliquer le « manque de sursaut révolutionnaire » d’aujourd’hui. Chacun y va de son analyse, puisant ses ressources dans l’imaginaire collectif européen, mais surtout dans sa culture d’origine. Ainsi, les regards sont croisés, et la discussion, multilingue mais surtitrée, très riche. On assiste à plusieurs tableaux, qui pourraient être le début de plusieurs histoires. S’agit-il de quatre comédiens qui attendent leur texte et qui sont déjà au travail au plateau pour explorer le sujet ? S’agit-il au contraire de quatre activistes fomentant secrètement une rébellion spectaculaire ? Vont-ils vraiment passer à l’acte ? Peu à peu, Anne Monfort, avec subtilité, semble nous tendre un miroir. L’essentiel ne se jouera peut-être pas sur scène, car il n’y aura pas de véritable fable, mais plutôt, au fond de nous, pour que nous participions au débat. Qui d’entre nous serait vraiment capable de prendre des risques aujourd’hui, au nom de quelque chose qui nous transcenderait tous ? Pas de réponse dans ce travail qui se veut polyphonique et polymorphe, dépoussiérant l’emblème « liberté, égalité, fraternité » en y ajoutant « dignité » et « amour biopolitique ».

Une recherche complexe

Le propos, éminemment instable, est très intéressant, car il explore à la fois l’Histoire mais autant le présent, soulignant les errances et les paradoxes qui le tissent. Conseillés par l’historienne Maud Chirio et dirigés également par Anne Monfort, les deux auteurs se sont heurtés à ce qui les rassemble mais aussi sûrement à ce qui les oppose. Si sur le papier cette recherche foisonnante est riche de perspectives, transposée à la scène c’est encore un peu confus. De plus, la dimension interculturelle et internationale souhaitée par la metteuse en scène vient poser une ultime question, en creux. Les langues sont-elles un problème ? Permettent-elles une multiplication des points de vue ou au contraire nous isolent-elles les uns des autres ? Ainsi, pour ne pas perdre le spectateur, la majorité du propos est dite en français. Les répliques en allemand ou en portugais sont traduites, parfois par les comédiens eux-mêmes directement, et toujours entièrement surtitrées. Si le public a donc accès dans sa langue à ce qui est dit, il n’a pas forcément le temps d’arriver au sens, tant les signes émanant du plateau sont nombreux. C’est dommage, car dans le contexte qui est le nôtre, c’est bien quand on veut parler de politique qu’il faut se faire comprendre au mieux.

Un spectacle encore en construction

De ce projet ambitieux se diffusent l’énergie de la recherche et un certain engagement des comédiens, notamment de Sara Vaz et Anna Schmidt. Certains passages, très intenses, tutoieraient presque le sublime, mais seulement deux ou trois épiphanies nous auront fait frémir. Le temps s’étire, on attend que le mélange de toutes ces matières de plateau prenne et, ce soir, on a plutôt eu le sentiment que les acteurs se répondaient au lieu de jouer vraiment ensemble. Encore en création, ce travail prometteur est donc bien trop frais pour éveiller chez le spectateur une véritable prise de conscience politique. Mais il aura sans doute murmuré aux oreilles de quelques-uns que le théâtre c’est aussi cela, un laboratoire qui questionne le monde et qui cherche, parfois en vain, à lui donner du sens. 

Maud Sérusclat‑Natale


No(s) révolution(s), de Mickael de Oliveira et Ulrike Syha

Mise en scène : Anne Monfort

Assistanat à la mise en scène : Alexia Krioucoff

Conception : Anne Monfort, Mickael de Oliveira et Ulrike Syha

Avec : Claude Guyonnet, Anna Schmidt, Anne Sée et Sara Vaz

Création lumière et régie générale : Cécile Robin

Création sonore : Emmanuel Richier

Scénographie : Clémence Kazemi

Costumes : Charlène Strock

Régie : Samuel Gamet

Collaboration et conseil historique : Maud Chirio

Photo : © Simon Gosselin

La Coopérative • rue Parisot • 90000 Belfort

Réservations : 03 84 58 67 67

reservation@legranit.org

Site du théâtre : http://www.legranit.org

Du 5 au 8 janvier 2016, à 20 heures

Durée : 1 h 30 environ

20 € | 18 € | 9 €

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