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« Othello », de Shakespeare, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

Othello © D.R.

Feuilleton théâtral haletant

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Dans son frénétique laboratoire de théâtre permanent, au Théâtre du Point-du-Jour à Lyon, Gwenaël Morin, soutenu par une fantastique équipe de comédiens, met en scène « Othello », de William Shakespeare, à raison d’un acte joué par semaine. Étonnant et impertinent pari qui réussit à trouver son public.

Ce qui suit n’est pas une critique au sens commun du terme. Intrigué par la démarche qui consiste à présenter Othello à la découpe, j’ai choisi de ne voir que les actes III et IV, cœur de la tragédie du Maure de Venise, pour me faire une idée de ce que peut être un théâtre proposé en épisodes. En spectateur responsable, j’ai évidemment cliqué sur mon ordinateur pour relire le résumé de la pièce, et j’ai feuilleté un dictionnaire des œuvres pour m’assurer d’avoir correctement saisi le déroulement de l’action dramatique.

J’invite le lecteur du compte-rendu de mon expérience à faire de même s’il veut partager avec moi le sens de mes remarques et de mes questionnements. Précisons que les enjeux d’Othello tels qu’ils sont mis en situation dans ce feuilleton théâtral – deux fois quarante minutes pour moi – s’organisent autour de cinq grandes thématiques : amour, réputation, jalousie, honneur et vengeance. Ajoutons que la géographie et la topographie investies par les péripéties du spectacle nous entraînent à Venise et à Chypre, de palais officiels en citadelles militaires, d’appartements privés en ruelles sordides.

Du public, Gwenaël Morin dit qu’il est la pièce manquante de la distribution. Sa scénographie justifie son propos. Othello se joue dans une sorte de nasse, de souricière dans laquelle acteurs et spectateurs sont enfermés, se retrouvant souvent assis côte à côte. Dans cette proximité, les roueries, veuleries et autres calomnies d’Iago (impressionnant Thomas Poulard), l’autoritarisme, le désarroi et les crises d’épilepsie d’Othello (intense Nathalie Royer), l’innocence, la dignité et le désespoir de Desdémone (bouleversant Pierre Germain) prennent une force particulière. L’émotion est au plus haut quand Iago, à votre oreille, vous fait complice de sa perversité, quand Othello s’écroule de rage et de douleur à vos pieds, quand Desdémone, agrippée à vos genoux, vous inonde de son chagrin.

Comme une machine infernale

Rappel nécessaire : je n’ai vu que l’acte III et l’acte IV. Pourquoi le troisième acte m’a-t-il comblé ? C’est qu’il fonctionne comme une machine infernale. Iago, l’ami déçu d’Othello, son chef, qui ne l’a pas promu, construit machiavéliquement le piège destiné à déshonorer Desdémone, épouse promise à Othello. Dans cette interprétation-ci, à un rythme infernal, tout se met en place pour pousser Othello au doute, à la colère, au pire. Quand l’acte s’achève, une seule chose obsède : la suite. Dans le public, un unique désir domine : revenir. Ce théâtre-là agit comme une excellente série télévisée. À écouter les propos des spectateurs qui quittent le théâtre, je comprends qu’ils reviendront. Ils sont de tous âges, adolescents, jeunes couples, groupes d’amis plus âgés, voisins du quartier qui entrent ici pour la première fois.

Au Théâtre du Point-du-Jour où l’on ne pratique pas l’abonnement, quelque chose est peut-être en train de se gagner. Gwenaël Morin aurait-il inventé dans son laboratoire un médicament générique, apte à donner le goût du théâtre, délesté des frais de marketing en usage ailleurs ? C’est 5 € la place et, en gardant son billet, chacun pourra assister gratuitement dans quelque temps à la version intégrale d’Othello. Saluons au moins sa tentative aventureuse de mettre en chantier un moyen de donner la possibilité à de nouveaux publics de s’essayer au théâtre.

Quelques jours plus tard, j’assiste à l’acte IV. Sur scène, ambiance délétère de barouf à Chypre. Othello a perdu tous ses repères, Iago se fait agresser physiquement de toute part et sa femme Emilia (remarquable Renaud Béchet), en militante de la cause des femmes, prend la défense de Desdémone, son amie. Ravagée et mise à nu, Desdémone se désespère des excès de l’affrontement entre féminité et virilité. Un point de non-retour est atteint. Fin de l’acte IV. Dans la salle, une même envie partagée : revenir pour vivre le dénouement.

Il est probable que les gardiens sourcilleux de la représentation intégrale d’une œuvre tordront le nez. Mais, pour cette tentative hardie de mise en scène séquencée, avec l’appui d’une belle traduction, Gwenaël Morin et ses interprètes font cadeau, à dose homéopathique, d’une version d’Othello riche de sens contemporain, nerveuse à souhait et dont la langue de Shakespeare subjugue par son architecture, sa densité poétique et son efficacité dramatique. Deux actes, soit quatre-vingts minutes de théâtre de cette trempe, valent mieux à coup sûr que la plupart des spectacles qui s’annoncent « d’après Shakespeare ». 

Michel Dieuaide


Othello, de William Shakespeare

Traduction : Julie Étienne et Joris Lacoste

Mise en scène : Gwenaël Morin

Avec : Renaud Béchet, Virginie Colemyn, Marion Couzinié, Mickael Comte, Pierre Germain, Barbara Jung, Pierre Laloge, Benoît Martin, Thomas Poulard, Maxime Roger, Nathalie Royer

Photo : © D.R.

Production : Théâtre Permanent

Théâtre du Point-du-Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

Tél. 04 72 38 72 50

www.lepointdujour.fr

Représentations du 4 au 29 mars 2014, du mardi au samedi à 20 heures

Durée : 40 minutes par acte

Pas de réservation, 5 € pour tous, pass Shakespeare 20 €

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