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« Vaille que vivre (Barbara) » de Juliette Binoche et Alexandre Tharaud, Cour du Lycée Saint-Joseph à Avignon

« Vaille que vivre (Barbara) », Juliette Binoche et Alexandre Tharaud © Christophe Raynaud de Lage

Du bout des doigts, du bout du cœur 

Par Pierre Fort
Les Trois Coups

La présence lumineuse des deux artistes restitue, avec sensibilité et justesse, la personnalité complexe de Barbara.

Disons-le d’emblée : il ne s’agit ni d’un récital bien rodé ni d’un hommage formaté. Les chansons auxquelles tenaient Juliette Binoche et Alexandre Tharaud ont servi de fil à une dramaturgie improbable et inachevée. Les textes dits, murmurés, parfois chantés, souvent chantonnés, sont délestés de tout apparat rhétorique. C’est par cette fragilité assumée que la représentation nous touche au cœur.

Portrait croisé des deux artistes (l’un comme l’autre ont pu l’applaudir dans ses derniers récitals), le spectacle appréhende cette étroite relation d’identification et de complicité que chacun de nous peut entretenir avec la chanteuse. Admise dans sa loge au Châtelet, Juliette Binoche se souvient : « Elle s’est précipitée sur moi comme un papillon ». Alexandre Tharaud, quant à lui, a découvert avec Barbara tout un territoire musical : « Un pianiste cherche sa vie entière à s’approcher de la voix humaine […] Les chanteurs sont nos maîtres. Barbara m’a appris à gérer une phrase musicale1 ». Image dépouillée, le pianiste sorti de l’ombre, vient déplier au centre de la scène un célesta d’enfant, sur lequel, hommage effleuré, il terminera en jouant quelques notes de Nantes.

Autour de « biographèmes » bien connus – la nostalgie de l’enfance, la guerre, l’inceste, la mort du père – le spectacle se nourrit de la difficulté d’être et du « mal de vivre ». Un agencement délicat et fragmentaire des chansons fait advenir ces moments musicaux comme autant d’instants de vie au présent. Les lumières et les noirs profonds d’Éric Soyer, scénographe de Joël Pommerat, explorent un paysage mental, tout en éclat et en ombres fugitives. Insaisissable, Barbara est la matière imaginaire d’une rêverie libre et indomptable.

« Vaille que vivre (Barbara) », Juliette Binoche et Alexandre Tharaud © Christophe Raynaud de Lage
« Vaille que vivre (Barbara) », Juliette Binoche et Alexandre Tharaud © Christophe Raynaud de Lage

Feu sombre

Très tôt, affleurent les blessures profondes. « Dans ma vie de femme, j’ai échoué ! Dans ma vie de mère, j’ai échoué. Je n’ai pas eu d’enfant mais j’ai souvent marché la main posée sur mon ventre ». Le spectacle est construit de ruptures et il oscille entre la déréliction – qui conduisit un soir la jeune chanteuse à vouloir se prostituer – et l’exaltation, entre la mélancolie et les plus éblouissantes réserves d’humour. Pieds nus, ses escarpins argentés à la main, Juliette Binoche esquisse des pas de danse fantasques et gracieux. Consumée par un feu sombre, Barbara a trouvé le réconfort dans la solitude et l’humour, « qui permet parfois de tout sauver », dans ses manies (« Touche pas mon piano, touche pas mes lunettes »). Et aussi dans le luxe d’une vie d’artiste: « Je m’en suis sortie puisque je chante ».

« Dégainant sa dégaine », Juliette Binoche, comme Barbara, joue de sa séduction altière avec le public. Lorsqu’elle entonne « Je cherche un homme qui ressemble à un homme », elle parcourt les gradins, épinglant malicieusement un spectateur : « Bonjour, on se connaît ? Ah, je dérange ! ». L’actrice ne s’est mise au chant qu’il y a deux mois. Pourtant, lorsqu’elle chante entièrement Mon enfance, sa voix tout en retenue et son phrasé délicat nous émeuvent profondément. Le piano d’Alexandre Tharaud, familier de la mélodie française, magnifie avec élégance la richesse harmonique de cette musique.

Vaille que vivre (Barbara) est avant tout un spectacle d’artistes qui nous parlent d’une artiste. Plus d’une fois, le spectateur redécouvre la force d’une musique et d’une poésie, dont les fragments isolés font briller la singularité. Alexandre Tharaud et Juliette Binoche savent qu’on ne peut pas « parler de poésie en écrasant les fleurs sauvages ». 

Pierre Fort

  1. Extraits du programme de salle.

 


Vaille que vivre (Barbara), de Juliette Binoche et Alexandre Tharaud

Textes : Barbara

Il était un piano noir... Mémoires interrompus de Barbara est publié aux éditions Fayard

Avec : Juliette Binoche, Alexandre Tharaud (piano)

Lumière, scénographie : Éric Soyer

Collaboration artistique : Vincent Huguet, Chris Gandois 

Durée : 1 h 30

Teaser vidéo

Photos : ©  Christophe Raynaud de Lage

Cour du Lycée Saint-Joseph • 62 rue des Lices • 84000 Avignon 

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Du 23 au 26 juillet 2017, à 22 heures, puis tournée.

De 10 € à 29 €

Réservations : 04 90 14 14 14

 

À découvrir sur Les Trois Coups

Barbara, de L’Écluse au Châtelet, par Sheila Louinet

Mademoiselle Julie, par Maud Sérusclat

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