Des Toutous et des hommes
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
La Paillette accueille pour deux soirs une fable sur les paradoxes de notre société aussi gâteuse avec les bêtes que féroce envers les exclus. Une pièce sur les vrais gens, dont un chien incarné par un acteur-danseur prodigieux. Les intermèdes didactiques peinent à convaincre. On mord à tout le reste.
Karine, qui vit avec Sherkan, son cher labrador, amène un soir Sylvain « chez eux ». Commence alors une guéguerre entre le musicien sans-papiers et le chien de race dûment tatoué. Les scènes de vie quotidienne, mais aussi d’amour, donc de jalousie, sont d’une drôlerie irrésistible, car Sherkan s’avère possessif. Yoan Charles en fait une créature tordante de mauvaise volonté, de morgue et de sournoiserie, une véritable bête de scène. Mais cette truffe à claques va trouver en Sylvain un adversaire à sa hauteur, malicieusement interprété par Lamine Diarra, très fin joueur.
Un chien raciste
Les deux mâles se partagent les attentions de Karine, que Flora Diguet campe en lutteuse un peu paumée, femme libérée mais asservie au toutou qu’elle a mal élevé. Sylvain a d’ailleurs aussi ses parts d’ombre – l’autrice fuit les clichés. Cet artiste des rues, entier, un rien macho, superstitieux, est aussi un amoureux qui se bat contre lui-même autant que contre ce fichu clebs. Il fera le lent apprentissage de la vie à deux, voire à trois, avant d’être arrêté et mis derrière des grilles qui ressemblent à celles de la S.P.A. d’où Karine a tiré son Sherkan.
Le récit invite à faire de constants parallèles entre l’enviable sort de l’animal recueilli et ces vies de chien que mènent certains hommes. Par exemple : le rayon pour animaux, obscène de raffinement, du supermarché où Karine est caissière, ou ce carnet de santé avec pédigrée et vaccins qui fait la fierté du cabot, alors que sans carte de séjour Sylvain n’a plus qu’à faire la manche. Ou encore le commerce du sexe : Karine, tombée au chômage, monnaye les saillies de son pure race avant de se vendre elle-même, sur Internet.
Zoo story
Saluons la qualité des dialogues souvent drôles, parfois crus, qui sonnent toujours juste. Quelle grande idée que ce chien raciste, sottement imbu de ses origines, cette salle de bains qui sert de niche, cette lutte sourde entre les cultures. Elle m’a rappelé l’histoire du chien justement dans Zoo story d’Edward Albee. On y apprenait comment l’estime peut naître entre deux adversaires se découvrant de force égale, bien obligés d’admettre la valeur de l’autre. La fable, là aussi, se terminait mal. ¶
Olivier Pansieri
La Place du chien, de Marine Bachelot Nguyen
Texte et mise en scène : Marine Bachelot Nguyen
Avec : Lamine Diarra, Flora Diguet, Yoan Charles
Scénographie : Bénédicte Jolys
Lumières : Gweltaz Chauviré
Son : Pierre Marais
Costumes : Laure Fonvieille
Vidéo : Julie Pareau
Photo © Caroline Ablain
Durée : 1 h 20
Production : Lumière d’août, en coproduction avec le Théâtre de Morlaix, la Maison du Théâtre de Brest, le Centre culturel de Cesson-Sévigné
La Paillette • 2, rue du Pré de Bris • 35000 Rennes
Mercredi 19 décembre et jeudi 20 décembre à 20 heures
Réservations : 02 99 59 88 86
De 5 à 13 €
Tournée : samedi 16 mars 2019 au Quai des Rêves de Lamballe, lundi 6 mai 2019 au Festival de Coye-le-Forêt