Déferlantes de vie
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Cap de la 5e année franchi pour Les « 5es Hurlants » de Raphaëlle Boitel ! Un succès dû, aussi bien à la performance des interprètes, qu’à une mise en scène ciselée empruntant au cinéma muet son humour et sa délicieuse lumière surannée.
Si Raphaëlle Boitel s’est aujourd’hui fait un nom dans la mise en scène d’opéras, elle est contorsionniste de formation. Dans les 5es Hurlants, elle raconte son attachement à l’univers circassien qui a vu éclore son talent. Et, se penchant sur l’enfance de son art (l’art de son enfance), elle réunit justement une équipe de cinq jeunes circassiens. Avec leur folle ardeur, leur rage de réussir par-delà les chutes, ils insufflent une énergie rageuse au spectacle et en sont le premier atout.
Venant d’horizons géographiques divers, pratiquant des disciplines variées, ceux-là ont pourtant en commun d’être confrontés à un objet (balle, corde, cerceau…) avec qui ils entretiennent un rapport amoureux et vaguement exclusif, parfois difficile. Raphaëlle Boitel a su mettre en lumière cette relation fondamentale mais dissimulée le plus souvent au spectateur. Elle choisit plus généralement d’évoquer l’envers du décor circassien avec ses entraînements sans cesse repris, ses glissades. La scénographie et les lumières de Tristan Baudoin s’accordent parfaitement à ce parti pris. En effet, la scène, plongée dans un clair-obscur qui fait surgir les apparitions, a des airs de salle des machines ou de cinéma abandonné.
Proposition vivifiante et aboutie
La façon qu’a le spectacle d’entrer en résonance avec le 7e art est une autre de ses qualités. On songe à Chaplin, à Keaton ou Tati (venus eux aussi du cirque, d’ailleurs), en raison d’une dramaturgie burlesque fondée sur la pantomime des interprètes comme sur une rythmique particulière. Le temps s’étire pour revenir comme un élastique et faire surgir la surprise et le rire. Ce cinéma-là, exaltant les maladroits fervents condamnés au rebut des temps modernes, est présent dans une scénographie dont les machines et les objets sont des pièges (voire des toiles d’araignée) et où l’ombre a gagné sur les feux de la rampe. Le talc des prouesses y devient cendre ; ils ne protègent pas mais provoque la chute.
Cette poétique de l’ombre fait sa cohérence, tout autant que le choix de la choralité et de la mise en abîme. Si on peut y déceler comme une succession de numéros, dans les entraînements auxquels s’adonnent tour à tour les interprètes, les comparses ne disparaissent en effet jamais du plateau. Indissociables comme les cinq doigts de la main, ils assurent les autres, et forment comme un premier cercle de spectateurs attentifs et empathiques. Cette solidarité circassienne séduit jusqu’à emporter dans un numéro exaltant qui nous fait partager la fureur de vivre et d’échapper aux liens : au cirque comme ailleurs, ensemble, c’est tout. ¶
Laura Plas
5es Hurlants, de Raphaëlle Boitel
Mise en scène et conception : Raphaëlle Boitel
Collaboration artistique, scénographie, lumière : Tristan Baudoin
Avec : Tristan Baudoin, Salvo Cappello, Alejandro Escobedo, Loïc Leviel, Nicolas Lourdelle, Juliette Salz
Durée : 1 h 05
À partir de 8 ans
La Scala • 13, boulevard de Strasbourg • 75010 Paris
Du 4 au 21 juillet 2019, du mardi au samedi à 20 h 30, le mercredi supplémentaire à 15 heures
De 10 € à 36 €
Réservations : 01 40 03 44 30
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