« À portée de crachat », de Taher Najib, Théâtre Girasole à Avignon

« À portée de crachat » © Jean-Marc Lobbé

Mounir Margoum
casse les murs

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Certains textes disent si bien la vie qu’ils évitent les idées reçues. Laurent Fréchuret a déniché une de ces perles, « À portée de crachat », de Taher Najib. Il a su par ailleurs lui donner une forme, simple et efficace, et un interprète exceptionnel : Mounir Margoum porte le texte et crache dans le mille de la vie.

Vol Paris / Tel Aviv. À la descente de l’avion, tout a une autre saveur, remarque le personnage d’À portée de crachat. Et cette saveur est sans doute passée dans la langue. Car dans À portée de crachat, Taher Najib prend en bouche les mots, savoure les images, même si sa truculence a parfois une robe jaune d’amertume. Mounir Margoum et Laurent Fréchuret nous font entendre cette langue‑là. L’un invente des postures et des jeux dans l’espace, l’autre fait sonner les mots. Le mot « Ramallah », par exemple, le français, l’arabe et l’hébreu en général. Il y a comme une ivresse de la langue dans ce monologue polyglotte, que le comédien fait sentir par son engagement.

La salive pour raconter, la salive pour cracher. La pièce s’ouvre sur une image : des rangées de jeunes gens de Ramallah qui tiennent les murs de la rue centrale et crachent du matin au soir. Image saisissante, mais pas très ragoûtante dans nos sociétés aseptisées. Le texte de Taher Najib est aussi comme ça, pas lisse, plein d’aspérités. Il semble tenu par la rage de vivre et fuse comme un crachat. Pas sûr que nous soyons épargnés, quand, en passant, on fait le parallèle entre la colonisation israélienne et la colonisation française en Algérie ; quand c’est un jeune à capuche, portable à la main qui s’avance sur scène, stéréotype de ce banlieusard qu’on désigne à la vindicte.

Une journée particulière (pour prendre un avion)

Rien n’est évident, mais on ne s’interdit pas de penser que Laurent Fréchuret interroge ainsi notre regard. Le metteur en scène met en place en tout cas tout un jeu avec le public qui ne lui permet pas de somnoler. La salle se transforme, par exemple, en avion : nous voici embarqués un 11 septembre 2002 avec un Palestinien. Dans l’ensemble de la pièce, le comédien nous parle, joue avec nous, nous interroge. Le jeu de lumières est sur ce point particulièrement pertinent. Nous partageons encore avec le personnage des moments d’intimité, comme une fantastique traversée de Paris, la nuit.

On avait admiré déjà Mounir Margoum au milieu d’une troupe dans les Fiancés de Loches, ou J’aurais voulu être égyptien, où Jean‑Louis Martinelli le dirigeait. Ici, à lui seul, il fait surgir un monde, et nous tient jusqu’au bout. Sa présence est si généreuse qu’elle fait s’effondrer le quatrième mur. Et casser un mur, n’est‑ce pas un bel objectif quand justement le texte montre la violence des frontières, qu’elles se matérialisent dans des aéroports ou sur un document d’identité ? Il faut être d’ici ou d’ailleurs, palestinien ou israélien, dit‑on. Or, c’est un nouveau paradoxe du comédien que propose Taher Najib : celui du comédien palestinien. Il consiste à refuser les cases, à être en plusieurs lieux : France et Israël, scène et vie.

Tenir bon malgré tout

Ces métamorphoses sont en particulier possibles grâce à la force du théâtre. Il suffit alors d’un tabouret, d’un drap, d’un portable et d’une doudoune pour que deux pays, deux langues, plusieurs personnages apparaissent. Il suffit de monter sur scène pour clamer la dignité d’un peuple tandis qu’on lui crache dessus des bombes et que les pales des hélicoptères se font entendre. L’horreur ne touche plus sur scène, étrange effet qui fait courir au théâtre, et ce au péril de leurs vies, des centaines de spectateurs de Ramallah et un comédien. Jouer, parler, rire malgré tout : tenir bon, en fait. Belle méditation, beau moment de théâtre. 

Laura Plas


À portée de crachat, de Taher Najib

Traduction de l’hébreu : Jacqueline Carnaud

Éditions Théâtrales, 2009

Mise en scène : Laurent Fréchuret

Avec : Mounir Margoum

Assistante à la mise en scène : Élise Vanderhaegen

Lumières : Thierry Opigez

Régies : Michel Paulet

Photo : © Jean-Marc Lobbé

Théâtre Girasole • 24 bis, rue Guillaume-Puy • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 82 74 42 | 06 73 51 75 48

Du 14 au 28 juillet 2012 à 10 h 45

Durée : 1 h 15

13 € | 11 €

Reprise

Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin-D.-Roosevelt • 75008 Paris

01 44 95 98 21

Du 12 mars au 12 avril 2014

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