Série B avec un B comme Bravo
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Une pléiade d’excellents acteurs pour une pièce légère et court-vêtue rythmée par la fièvre du samedi soir.
Ce n’est pas un chef-d’œuvre d’analyse sociopsychologique, c’est juste un bon moment. C’est rare, les bons moments, par les temps qui courent. Le duo star Gérald Sibleyras (à l’adaptation) et Thierry Harcourt (à la mise en scène) s’empare d’une pièce de boulevard plus proche de la série B portée à la scène que du vaudeville au sens strict. C’est frais, c’est gai.
Le texte de Mike Leigh, réalisateur anglais multipalmé et oscarisé, provient de son répertoire théâtre des années 1970, moins connu que son répertoire cinéma. Et c’est d’abord la somptueuse restitution des seventies qui séduit, dans cette nouvelle version. Applaudissements sans retenue pour Marius Strasser au décor, Jean‑Daniel Vuillermoz aux costumes et surtout Catherine Saint‑Sever, qui érige le maquillage et la coiffure en arts majeurs (tout l’esprit d’une époque dans le dégouliné bouclettes blondes et fard à paupières outrancier à la Farah Fawcett et le mi-long rabattu vers l’avant, plaqué gel, à la Starsky et Hutch).
Dans leur pavillon de banlieue middle class, Beverly et Peter invitent trois voisins à célébrer le rituel de l’amusement obligatoire du samedi soir : un jeune couple fraîchement emménagé et une mère de famille divorcée, doyenne du quartier, ayant laissé sa propre maison à sa fille Abigail qui organise une fête entre ados. Cette pièce, c’est un peu le paléolithique de Desperate Housewives ou des huis clos mordants de Yasmina Reza, qui a fait sa spécialité de la mondanité convenue tournant au carnage. Tout n’est pas parfait, et les puristes diront que la tension dramatique n’est pas assez bien calibrée, qu’il y a trop de gin et pas assez d’hystérie millimétrée, que l’horlogerie est relative. Mais c’est toujours intéressant, à titre archéologique, de voir l’ancêtre quand on connaît par cœur les descendants.
Reste une interprétation bluffante par cinq comédiens bien dans leur rôle. Enfilant les perles de la conversation avec une diction empruntée, les deux femmes-objets tentent en vain de maquiller sous une couche de poudre aux yeux l’inanité de leur existence (torride Alexie Ribes dans le personnage de la jeune mariée, pétulante Lara Suyeux dans celui de la quadra). Cédric Carlier et Dimitri Rataud incarnent deux mâles taciturnes partagés entre pulsions incontrôlées et agacement permanent. Enfin, la magnifique Séverine Vincent (qui fut, dans son enfance, l’interprète du rôle‑titre d’Émilie Jolie, avis aux nostalgiques) respire la zénitude assumée de la femme mûre dont rien n’entame jamais la sérénité. On ne ressort ni cultivé ni bouleversé, mais on a franchement rigolé pendant une heure et demie, ce qui n’est pas toujours le cas quand on passe prendre un verre chez ses voisins : merci pour le cadeau. ¶
Élisabeth Hennebert
Abigail’s Party, de Mike Leigh
Adaptation : Gérald Sibleyras
Mise en scène : Thierry Harcourt, assisté de Stéphanie Froeliger
Avec : Cédric Carlier, Dimitri Rataud, Alexie Ribes, Lara Suyeux et Séverine Vincent
Costumes : Jean‑Daniel Vuillermoz
Décor et accessoires : Marius Strasser
Maquillage, perruque et coiffures : Catherine Saint‑Sever
Lumières : Jacques Rouveyrollis, assisté de Jessica Duclos
Son : Camille Urvoy
Photos : © Victor Tonelli
Théâtre de Poche‑Montparnasse • 75, boulevard du Montparnasse • 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 50 21
Site du théâtre : www.theatredepoche-montparnasse.com
Métro : Montparnasse‑Bienvenüe (lignes 4, 6, 12 et 13)
Jusqu’au 16 juillet 2017, du mardi au samedi à 21 heures, le dimanche à 15 heures, relâche les 8 et 9 juin
Durée : 1 h 25
Tarifs : 30 €, 21 € et 11 €