L’art d’en rire
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Féru d’art, il convoque Matisse, John Cage et Paris Hilton. Décapant.
Alex Vizorek a une tête d’enfant de chœur (sur le point de faire un mauvais coup) posée sur une silhouette de trader, cravate et chemise blanche immaculée. Un grand écart qui est aussi l’un des ressorts de son spectacle, l’allure ultra-sérieuse contredisant sans cesse la loufoquerie du propos. Mais, et c’est là tout le pari – largement gagné – de Vizorek, derrière le rire affleurent en permanence des questionnements pertinents sur l’art, rien que cela. Il déroule ainsi quatre séquences dans lesquelles sont analysés, d’une façon à la fois absurde et judicieuse, de grands courants ou œuvres de musique, peinture, sculpture et cinéma.
Alors oui, l’humoriste belge de 34 ans sacrifie à certains passages obligés : début truffé de blagues sur son pays natal, références à la localité qui accueille le spectacle et aussi vannes en dessous de la ceinture plutôt dispensables et dont l’amuseur a d’ailleurs parfois l’air de vouloir s’excuser.
Et pourtant, bien vite, on est emporté dans une irrésistible tornade comique. Une plaquette annonce que « le jeune humoriste vous fera découvrir les arts comme vous ne les avez jamais vus », et pour une fois l’expression n’est pas usurpée ! Un (grand) sourire aux lèvres, on découvre ou redécouvre l’arte povera, le douanier Rousseau ou encore Mort à Venise de Visconti. Prenant pas mal de risques, Vizorek parvient à trouver une zone très étroite entre moquerie systématique et respect platounet. Résultat, on meurt d’envie de se replonger dans les œuvres évoquées !
À la fois homme de scène et de radio, Alex Vizorek manie avec maestria son arme de dérision massive : sa voix. La partition du texte est ici brillamment interprétée par un instrument affûté. Variations d’intensité, d’intonation, de rythme, pauses stratégiques : toute la palette de la voix se déploie avec bonheur. Un vrai régal.
Comme contrepoints à ses élucubrations pas si fantaisistes, le comédien recourt à deux fils conducteurs : d’abord, la mise en scène du déroulement du spectacle lui-même. Jaugeant le niveau d’intelligence et de compréhension du public, il fait mine d’écarter ou au contraire d’insister sur tel ou tel effet, se servant pour cela d’un unique accessoire : un cerveau élégamment posé sur un guéridon, prêt à l’emploi pour les spectateurs qui en ressentiraient le besoin (à l’exception de lectrices des Marc Lévy, pour qui ce soudain apport de neurones pourrait se révéler fatal). Deuxième fil conducteur : des anecdotes toutes personnelles, à l’instar de ce touchant moment dans la vie d’un père, celui où il initie sa fille à la corrida à l’aide d’un teckel et d’une boîte de cure-dents.
Dans les deux cas, Vizorek fait souvent mouche et trouve un rythme soutenu sans être hystérique, à l’instar du compositeur capable d’alterner moments piano et fortissimo. Cette réussite doit beaucoup à Stéphanie Bataille 1, qui, à la mise en scène, a su ménager ces contrastes et mettre en valeur la force comique du texte et de son interprète. ¶
Céline Doukhan
- Lire « Ben », de et par Ben, Théâtre Pierre‑Fresnay à Ermont.
Alex Vizorek est une œuvre d’art, d’Alex Vizorek
Mise en scène : Stéphanie Bataille
Avec : Alex Vizorek
Photos : © Mathieu Buyse et Leslie Artamonow
Espace culturel Henri-Salvador • place de la Gironde • 72190 Coulaines
Réservations : 02 43 74 35 10
Le 27 février 2016 à 20 h 30
Durée : 1 h 30
20 € | 17 € | 13 €