« Americana ! », par l’Orchestre symphonique de Bretagne, Théâtre national de Bretagne à Rennes

Chris Brubeck © Colbert

Un vrai feu d’artifice

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Pour son opération « L’Orchestre se lâche », l’Orchestre symphonique de Bretagne a concocté un programme américain particulièrement réjouissant autour de deux créations européennes de Dave et Chris Brubeck.

Les opérations « L’Orchestre se lâche » ont pour but de faire se côtoyer, sous la bannière de l’Orchestre symphonique de Bretagne, toutes les musiques (classique, rock, jazz, électro, etc.), mais aussi d’autres formes artistiques (danse, théâtre, photographie, cinéma…) dans un souci de diversité et d’invitation à la découverte.

Americana !, c’est une soirée tout à fait spéciale comme les aime Marc Feldman, l’administrateur général de l’orchestre. Nous entendrons la Création du monde (opus 81a, 1923), de Darius Milhaud, Symphonic Dances from West Side Story (1960‑1961) de Leonard Bernstein, le Concerto pour trombone basse et orchestre (1991) de Chris Brubeck et Ansel Adams : America (2008) de Dave et Chris Brubeck. Un programme d’une grande cohérence puisque Dave Brubeck (né en 1920) fut l’élève de Darius Milhaud avant puis après la Seconde Guerre mondiale et que son quartette eut l’occasion de collaborer avec Leonard Bernstein. Cohérent aussi puisque Dave Brubeck est sans doute le compositeur américain qui a le plus à cœur de mêler la musique classique et le jazz. Son fils Chris (né en 1952) suit le même chemin. N’a‑t‑il pas été qualifié récemment par un critique respecté de « Leonard Bernstein du xxie siècle » ?

Cette soirée fait partie d’un projet soutenu par le réseau A.C.T. (A Common Territory / Un territoire commun) dans le cadre d’I.N.T.E.R.R.E.G. IV A., un programme de coopération transfrontalière France (Manche / Channel) Angleterre cofinancé par le F.E.D.E.R. (Fonds européen de développement régional). Ce réseau réunit, de part et d’autre de la Manche, treize partenaires dont l’Orchestre symphonique de Bretagne, sous la houlette de l’Orchestre de Picardie. Le choix de Dave Brubeck pour ce projet de rapprochement entre les peuples est également judicieux puisqu’il fit partie de l’armée de Patton qui contribua à libérer la France, qu’il fut un militant infatigable pour les droits civils aux États-Unis et que le président Obama l’a récemment salué comme le meilleur ambassadeur culturel pour la compréhension entre les peuples.

Échos du jazz de la Nouvelle-Orléans

Les vents et spécialement les cuivres, avec les percussions, tiennent une grande place dans le prélude et les cinq parties de la Création du monde. On y entend clairement des références à la musique américaine dans un thème récurrent. Le compositeur y a également incorporé du blues, des échos du jazz de la Nouvelle-Orléans et d’une danse originaire de Virginie, qu’on trouve déjà reprise par Debussy et par le music‑hall, le cake-walk.

Les Symphonic Dances reprennent et concentrent les mélodies de la comédie musicale West Side Story (curieuse comédie, d’ailleurs !). Ce qui peut nous paraître mièvre dans certaines scènes du film est ici sublimé et porté à l’incandescence tragique. Les cinq percussions plus la batterie, comme les cuivres et le piano, y tiennent un rôle essentiel, heureusement salué par le chef Michael Morgan, qui préside habituellement aux destinées musicales de l’Oakland East Bay Symphony et de l’Orchestre symphonique de Sacramento. Michael Morgan est considéré outre-Atlantique comme un pionnier du mariage entre les œuvres classiques et celles des compositeurs contemporains et locaux.

Le Concerto pour trombone basse et orchestre de Chris Brubeck est une parfaite illustration de cette fusion d’un nouveau genre entre musique classique et jazz. Pour la création européenne de cette œuvre, le compositeur lui‑même tenait le trombone. Nous y avons particulièrement aimé la délicatesse de la mélodie dans le mouvement lent. Le trombone basse y fait couler des notes de velours sur une légère nappe de cordes où la flûte et la clarinette déposent quelques couleurs plus fraîches. Le solo de trombone dans le dernier mouvement permet à Chris Brubeck de réaffirmer avec brio ses origines jazz dans les sonorités et le rythme.

Chutes d’eau, vastes paysages et ciels tourmentés

Autre création européenne, Ansel Adams : America de Dave et Chris Brubeck est interprétée pendant que sont projetées 102 œuvres en noir et blanc du grand photographe américain Ansel Adams. Comme dans un film, la musique suit et accompagne les photographies évoquant comme en écho les formidables chutes d’eau, les vastes paysages et les ciels tourmentés que n’auraient pas reniés les romantiques. Elle se fait plus suave pour des scènes d’intérieur ou de famille, devient plus rugueuse pour évoquer des villages mexicains et quasi bucolique devant une exquise floraison. L’Orchestre symphonique de Bretagne et l’Orchestre de Picardie réunis savent rendre la grandeur des espaces et le huis clos de l’intimité tandis que le discours du trombone se mêle à leurs voix ou les domine avec maestria.

Une surprise finale nous était réservée : l’interprétation des deux morceaux sans doute les plus emblématiques de Dave Brubeck, Take Five (une composition de Paul Desmond, 1959) et Blue Rondo a la Turk de Brubeck lui-même, tirés de l’emblématique Time Out publié la même année. Pour ces deux pièces, un trio de jazz avec Frédéric Alcaraz (contrebasse), David Le Bras (batterie) et Guillaume Saint‑James (saxophone alto) vient rejoindre l’orchestre. Il se transformera en quartette avec la participation de Chris Brubeck au piano (reconstituant ainsi la formation de la création) puis à la basse électrique et enfin au trombone. Les arrangements sont également de Chris Brubeck.

Le public exulte

Sur un tempo plus lent qu’à l’accoutumée (sans doute pour mieux gérer la masse de l’orchestre), Take Five donne la part belle au piano et déroule impeccablement sa polyrythmie qui nous est si familière, mais dérouta fort les contemporains. Dans Blue Rondo a la Turk, Guillaume Saint‑James qui avait un peu semblé sur sa réserve dans le premier morceau (il n’est pas facile d’entrer de plain-pied dans un concert qui s’est déroulé sans vous) sort le grand jeu. Il assume sans faiblir la partie du créateur Paul Desmond, et son dialogue avec Chris Brubeck est superbe : virtuosité, musicalité et plaisir de jouer des deux côtés. Le public exulte. L’orchestre lui-même applaudit les solistes. C’est un triomphe ! 

Jean-François Picaut


Americana !, par l’Orchestre symphonique de Bretagne

La Création du monde (opus 81a, 1923), de Darius Milhaud

Symphonic Dances from West Side Story (1960-1961), de Leonard Bernstein

Concerto pour trombone basse et orchestre (1991), de Chris Brubeck

Ansel Adams : America (2008), de Dave et Chris Brubeck

Sous la direction de Michael Morgan

Avec : Chris Brubeck (trombone basse)

Orchestre symphonique de Bretagne

Orchestre de Picardie

et Frédéric Alcaraz (contrebasse), David Le Bras (batterie), Guillaume Saint‑James (saxophone alto)

Photo de Chris Brubeck : © Colbert

Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes

www.t-n-b.fr

Réservations : 02 99 31 12 31

Les 24 et 25 octobre 2012 à 20 heures

Durée : 1 h 40 (sans la surprise)

25 € | 21 € | 10 € | 8 €

Autre concert : le 26 octobre 2012 à 20 h 30 à La Passerelle • 22000 Saint‑Brieuc

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