« Annette », Clémentine Colpin, critique, Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, Limoges

Avec Annette, on se sent pousser des elles

Laura Plas
Les Trois Coups

Merveille d’intelligence et de drôlerie, le spectacle de Clémentine Colpin est à l’image de celle dont il dépeint les 72 ans de vie. Ces mémoires d’une femme pas rangée, toujours décalés, souvent virevoltants, sont une pépite.

La vie, ça va, ça vient. Ça bouscule et ça rebat les cartes. On y est quelqu’un, on devient autre. Comment cela pourrait-il rentrer dans une boîte, fût-ce la boîte noire d’un théâtre ? C’est pourtant ce que Clémentine Colpin réussit à faire en moins de deux heures, qui passent comme une brise.

Cette réussite tient d’abord à la présence même d’Annette sur scène : sacré bonne femme, rigolote, vive. Elle est le pilote de cette machine à repasser le temps : depuis les temps enchanteurs de l’enfance où, comme dans En attendant Bojangles, ses parents virevoltaient dans un salon jusqu’à une dernière danse joyeuse et aérienne.  Annette commente, Annette évoque par quelques gestes des moments de vie. Annette joue : c’est-à-dire qu’elle est comédienne de sa vie et entretient avec elle un beau rapport réflexif et distancié : ludique !

Peaux d’Annette

D’autant que la figure se multiplie. Petite, elle se rêvait en Debbie Reynolds ou Doris Day, Comme en écho, sur scène, deux actrices et deux danseurs, tous excellents, sont tour à tour et souvent ensemble Annette. Les moments de chœur viennent toujours à propos et déclinent des possibles intéressants. Tantôt la parole mêlée traduit un tumulte ou un débat intérieur, tantôt elle voile de pudeur une confession. Les idées sont parfois facétieuses mais toujours fines.

© Alice Piemme

Que pouvait-on imaginer de plus pertinent pour une femme qui a refusé d’être enfermée, même dans un « sweet home » ? Comme la danse, comme la stylisation humoristique (par exemple pour évoquer une rencontre à la manière d’une série B), le bric-à-brac scénique donne toute la mesure de la liberté d’Annette. L’incarnation d’Annette par des hommes s’accorde, quant à elle, à une vie amoureuse qui a battu la chamade bien au-delà des carcans de genre. La distribution et la mise en scène sont ainsi magnifiquement gender fluid.

L’art de la joie

Cette fluidité, comme l’air de comédie musicale que prend parfois le spectacle, éclaire les moments difficiles qui sont évoqués : maternité dure, avortement, horreur du corps des enseignantes religieuses et donc méconnaissance de soi, luttes LGBT, maladies… Telle la bande originale de la vie d’Annette, la musique prend le relai des mots. Elle sollicite la mémoire affective des spectateurs, comme d’ailleurs les références à des feuilletons ou des films : La Petite Maison dans la prairie, Jeanne Dielman, Philadelphia

© Laurent Poma

Cette autobiographie collective et singulière ne pouvait qu’être le fruit d’un beau travail d’écoute. Clémentine Colpin, retirée dans le public mais à la lisière de la scène, exprime toute la délicatesse de son travail. C’est admirable. Un coup de cœur, et paradoxalement un bain de jouvence pour toutes les générations. Annette a reçu le Prix des Lycéens et le Prix SACD du Festival Impatience 2024.

Laura Plas


Site de la Cie Canicule
Mise en scène : Clémentine Colpin
Co-conception et collaboration artistique : Olivia Smets
Avec : Annette Baussart, Pauline Desmarets, Ben Fury, Alex Landa Aguirreche, Olivia Smets
Durée : 1 h 50 min
Dès 14 ans

Théâtre de L’Union • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Les 19 et 20 novembre 2025
De 8 € à 24 €
Réservations : en ligne ou 05 55 79 90 

Tournée ici :
• Du 27 au 28 novembre, au Théâtre Sorano, dans le cadre du festival Supernova, à Toulouse (33)
• Du 14 au 17 janvier 2026, Théâtre de La Croix Rousse, à Lyon (69)
• Du 3 au 7 février, au Cent-Quatre, Paris (75)
• Du 27 au 28 mai au Nouveau Théâtre de Besançon (25)

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Sans faire de bruit », Louve Reiniche-Larroche, Cie Nachepa, critique, Cent-Quatre, Jeune Théâtre National, Festival Impatience, 2024, Paris
Festival Supernova 2025, Entretien Karine Chapert, par Léna Martinelli

Photo de une : © Laurent Poma

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