Bienvenue dans l’artifice
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Joris Mathieu ne manque pas d’imagination. Depuis qu’il est à la tête du Théâtre Nouvelle Génération, il promeut un théâtre résolument tourné vers les problématiques contemporaines. Cet « Artefact » aborde ainsi la fin de l’humanité et le futur règne des robots.
Commençons par une description du dispositif, ou plutôt des dispositifs puisqu’on nous en propose deux (le parcours en comprend trois, le troisième doublant en quelque sorte le second). La jauge, réduite à moins d’une cinquantaine de spectateurs coiffés d’un casque qui les isole les uns des autres, est divisée en trois groupes, chacun doté d’un accompagnateur. On imagine un spectacle déambulatoire, il n’en sera rien. L’installation-spectacle dure une heure et chaque groupe est invité à s’asseoir à trois reprises, pour des séquences d’une quinzaine de minutes, prolongées d’une promenade d’un dispositif à l’autre.
D’abord, nous voici face à une machine, un robot très adroit, lui-même attablé devant une série d’appareils qui clignotent et évoquent pêle-mêle les outils d’un cabinet dentaire ou l’antre d’un savant fou. Doté de parole, ce robot va faire deux choses qui n’ont apparemment rien en commun. D’une part, il va créer un décor en déplaçant une à une (pour habile qu’il soit, ce robot n’est pas rapide) les figurines censées planter le décor : des tombes, un couple, un rat, un hibou, un arbre dénudé. Le tout se déroule dans une ambiance sépulcrale, avec poussière et fumée, évoquant le monde de l’heroic fantasy. De l’autre, le robot se met à débiter le monologue de Hamlet, « Être ou ne pas être… mourir dormir, rêver peut-être » etc… soulevant les questions existentielles qui turlupinent tout adolescent, lequel n’a pas forcément reconnu cette citation bien incongrue.
Second dispositif : chaque groupe est à nouveau divisé en trois. De quinze, nous passons à cinq personnes environ, assises sur des bancs devant un écran. Au programme, une rencontre avec un hologramme qui, à la manière du logiciel Siri, développé par Apple, entre en contact avec nous, puis contrefait le dialogue (il écrit et dit les questions et les réponses)… Le premier volet consiste en une sorte de réflexion sur le théâtre : il promet un art chargé de redistribuer de manière aléatoire des textes entrés dans sa mémoire. Dans le second, on assiste au retour des grands textes, avec le dialogue inaugural entre Vladimir et Estragon de En attendant Godot. Vous vous en souvenez ? Deux pauvres types discutent de savoir si cet arbre dénudé est bien celui du rendez-vous et… oui, c’est bien en tout cas celui du premier dispositif, vu en 3D cette fois. Quant aux deux personnages de Beckett, les voici à l’état de figurines avec un trou qui s’ouvre et se ferme pour toute bouche. Un spectacle somme toute assez bavard…
La mort du sensible
La philosophie et le théâtre sont donc – malgré eux ? – invités au cœur de cette installation-spectacle, mais un peu à titre de figurants. De même que se retrouvent ici les vieilles interrogations qui hantent la science-fiction : Où va le monde ? Que deviennent les robots après la mort programmée des humains ? Peuvent-ils survivre seuls ? Ont-ils une âme ? Avec une pincée de prise de conscience écologiste sur la responsabilité de l’homme dans cette course à l’abîme et même une mise en cause de la consommation à tout-va.
Si Joris Mathieu voulait montrer une préfiguration du théâtre du futur, c’est plutôt réussi, d’autant que la réalisation technique est parfaite : pas de comédiens mais des hologrammes, des voix virtuelles, des mots qui s’écrivent tout seuls. Cependant, une telle expérience peut aussi poser la question du public. Car un public, c’est une assemblée de gens réunis là pour assister à un même spectacle, qui partagent sans toujours en être conscients les émotions de leurs voisins de siège. Les comédiens savent bien qu’une salle, c’est un ensemble qui vibre sans être la simple addition des émotions des individus qui le composent. Ici, non : chacun est isolé des autres mais aussi de ce qui lui est montré et sur lequel il ne peut interagir à aucun moment. Un ersatz de public ? On peut comprendre la visée pédagogique de cette nouvelle création. On reste ébahi de la performance technologique. Mais on peut aussi légitimement se demander si tout cela ne serait pas mieux installé à la Cité des Sciences… ¶
Trina Mounier
Artefact, installation spectacle de Joris Mathieu, en compagnie de Haut et Court
Scénarisation et mise en scène : Joris Mathieu
Conception du dispositif : Nicolas Boudier, Joris Mathieu
Dispositif scénique et création lumière : Nicolas Boudier
Stagiaire scénographe : Lisa Lou Eyssautier
Programmation, développement et création vidéo : Loïc Bontemps
Création vidéo et tournages : Siegfried Marque
Composition musicale : Nicolas Thévenet
Robotique : Clément-Marie Mathieu
Régie générale : Gérald Groult
Photo : © Nicolas Boudier
Production : Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon
Coproduction : Le Grand R – Scène nationale de la Roche-sur-Yon, Le Merlan – Scène nationale de Marseille
Avec le soutien de l’Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne, Le Merlan – Scène nationale de Marseille, dans le cadre du Noüs (partenaires du projet artistique du Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon)
Avec la participation du DICRÉAM Ministère de la Culture et de la Communication, CNC, CNL.
Avec le soutien du Fonds de soutien à la création artistique et numérique (SCAN) de la région Auvergne Rhône-Alpes.
Théâtre Nouvelle Génération • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Le spectacle se déroule au Théâtre Les Ateliers • 5 rue du Petit-David • 69002 Lyon
04 72 53 15 15
Du 4 au 13 avril 2017, les mardis et jeudis à 10 heures, 14h30 et 20 heures ; les mercredis à 10 heures et 20 heures, le dimanche à 15 heures
Durée : 1 heure
De 5 € à 10 €