Sur le fil du concept
Par Juliette Nadal
Les Trois Coups
Renaud Herbin, marionnettiste actuellement à la tête du TJP de Strasbourg, interroge les relations entre corps, objet et image. Dans sa dernière création, il associe marionnettes, danse et chant pour créer des tableaux stylisés mettant en jeu la matière. Une expérimentation qui prend le risque de la pesanteur.
At the still point of the turning world est né de la rencontre entre le marionnettiste Renaud Herbin et la danseuse et chorégraphe Julie Nioche. Le titre du spectacle cite les vers de T.S. Eliot « At the still point of the turning world. Neither flesh nor fleshless ; / Neither from nor towards ; at the still point, there the dance is » (Four Quartets), ainsi traduits par Claude Vigée : « Au point de quiétude du monde qui tournoie. Ni dans la chair ni désincarné ; / Ni provenance ni visée, au point de quiétude c’est là qu’est la danse ». Comment traduire sur le plateau ce moment fragile où fusionnent l’animé et l’inerte ?
Au commencement était la marionnette
Une marionnette aux allures d’écorché, de la taille d’un enfant, traverse une rampe plein feu dirigée vers le public. Elle semble sortir du néant. Son regard se tourne vers deux silhouettes noires, à jardin. Puis elle retourne à son obscurité. Apparaît alors sur le plateau une foule de petits sacs lestés de sable, tenus par de longs fils verticaux. On dirait une troupe de soldats, rangée en carré compact. Dos au public, une femme regarde l’armée silencieuse. Face-à-face immobile et patient. Qui bougera le premier ?
Lentement, les petits sachets s’ébranlent. La danseuse observe, puis répond à cet appel par un même mouvement ondulatoire. Le contact se crée et commence alors une série d’interactions entre la danseuse et les marionnettes. Le jeu d’imitation réciproque évolue vers la formation de véritables tableaux oniriques, où se fondent les corps. Un art visuel efficacement soutenu par la création sonore.
Le pot de fer contre le pot de terre
La musique de Sir Alice crée des ambiances envoûtantes. Associée aux balancements et aux ondulations répétitives de la chorégraphie, l’esprit s’abandonne aux images évoquées par le plateau. Vent dans un champ de blé, fond marin agité par la faune aquatique, grotte inquiétante, champ de ruines jonchés de cadavres. Les marionnettes conduites à cette extrême stylisation constituent une surface de projection mentale infinie. Une expérience qui prend aux tripes, parfois fragile.
Le potentiel poétique de cette foule de marionnettes à long fil est immense. Leur présence puissante domine celle de la danseuse. En dehors de moments de fusion et de suspension réussis, le duel s’avère inégal : le corps humain semble écrasé, peinant à surmonter sa pesanteur et à incarner le concept. Une création sur le fil. ¶
Juliette Nadal
At the still point of the turning world, de Renaud Herbin
Conception : Renaud Herbin
En collaboration avec : Julie Nioche, Sir Alice, Aïtor Sanz Juanes
Avec : Julie Nioche, Renaud Herbin, Lisa Miramond (en remplacement de Sir Alice), Aïtor Sanz Juanes
Création musicale : Sir Alice
Espace : Mathias Baudry
Marionnettes : Paulo Duarte
Lumière : Fanny Bruschi
Construction : Christian Rachner
Durée : 50 mn
Présentation vidéo par Renaud Herbin
Espace Malraux – Théâtre Charles Dullin • Place du théâtre • 73000 Chambéry
Le 29 et 30 janvier 2019 à 20h
De 8 € à 20 €
Tournée : Les 6 et 7 février au Théâtre de Sartrouville
Les 21 et 22 mars au Centre Culturel André Malraux de Vandœuvre-lès-Nancy
Du 3 au 5 mai à la Biennale internationale des arts de la marionnette à Paris
Du 24 mai au 2 juin au Figurentheaterfestival en Allemagne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Wax de Renaud Herbin par Trina Mounier