Un manque d’audace
Par Isabelle Jouve
Les Trois Coups
Une pièce de Philippe Madral sur le monde du cinéma qui se laisse regarder sans déplaisir, malgré des longueurs.
Dans le jargon cinématographique, bankable sépare les comédiens en deux catégories : ceux qui rapportent de l’argent ou qui permettent de financer un film sur leur simple nom, et les autres. Les has-been, ceux qui ont été, mais ne sont plus.
Bruno (Vincent Winterhalter), acteur sur le retour, est encore dans la première catégorie, mais plus pour très longtemps. Il est parfaitement conscient de cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Toutefois, malgré cette issue plutôt fatale, il a été engagé pour tenir le premier rôle dans un film. Sa partenaire n’est autre qu’une célèbre actrice américaine, mondialement connue.
À dix jours du début du tournage, le coproducteur américain décide de rajeunir son personnage. Ce dernier ne fera plus de cyclisme, sport à connotation vieillotte et ringarde, mais jouera du tennis. D’autres modifications vont bientôt suivre. Le producteur français (Jérôme Anger), prêt à toutes les rectifications et sacrifices pour satisfaire ses partenaires en affaires, réussit encore une fois à convaincre le scénariste dudit film (Lorànt Deutsch), accessoirement meilleur ami de Bruno, de remanier le scénario. Cet hypocondriaque, au bord de l’explosion, n’en peut plus. Il en est à sa dix‑huitième version et ces changements de dernière minute jouent avec ses nerfs et sa santé.
Toutes ces tractations ont évidemment lieu dans le dos de l’acteur, être immature, trop gâté, mais père de deux enfants en bas âge, assez consciencieux. La suite de la pièce verra apparaître l’épouse du scénariste (Caroline Maillard), femme lucide qui à la tête sur les épaules, et la mère de Bruno (Manoëlle Gaillard), castratrice et mauvaise grand-mère.
Je tiens à souligner la très belle performance de Vincent Winterhalter, excellent comédien de théâtre et de télévision. Son numéro d’acteur est riche et complet. Il joue sur toute une panoplie de sentiments contradictoires avec talent. La pièce repose d’ailleurs entièrement sur lui, mais comme il n’est pas bankable…
Sa version édulcorée manque de punch et de causticité
Ce spectacle se laisse voir avec intérêt. Néanmoins, cette comédie n’est pas aussi jubilatoire qu’elle aurait pu l’être. Bien que la mise en scène de Daniel Colas ne manque pas de rythme et de légèreté, Philippe Madral nous livre un texte dont le propos n’est pas nouveau et ne sort pas des sentiers battus. Il explique même que « les personnages et les évènements évoqués dans cette pièce sont de pure fiction. Dans la réalité, les producteurs, les vedettes et les scénaristes sont plus pervers, plus vantards, plus ambitieux, plus fornicateurs, plus malhonnêtes, plus lâches, et, d’une façon générale, plus prêts à tout pour assouvir les besoins de leurs ego surdimensionnés ». Eh bien, je trouve justement dommage qu’il ne soit pas allé au bout de l’idée pour écrire un texte plus mordant et corrosif. Sa version édulcorée manque de punch et de causticité. Il me semble qu’il avait tous les ingrédients pour faire de ce spectacle un cocktail explosif.
En outre, le personnage, plutôt caricatural, de la mère autoritaire n’a pas de réelle utilité si ce n’est celui d’appuyer trop fortement sur le côté infantile de Bruno. En effet, l’immaturité de ce dernier aurait pu être traduite de manière plus subtile, sans avoir à ajouter un rôle qui n’apporte, à mon sens, pas grand-chose à l’histoire. Le propos en aurait peut-être été recentré et ainsi plus dense. ¶
Isabelle Jouve
Bankable, de Philippe Madral
Mise en scène : Daniel Colas
Avec : Lorànt Deutsch, Vincent Winterhalter, Jérôme Anger, Manoëlle Gaillard, Caroline Maillard
Lumières : Pascal Sautelet
Décor : Jean Haas assisté de Juliette Azémar
Son : Sylvain Meyniac
Vidéo : Olivier‑Louis Camille
Costumes : Jean‑Daniel Vuillermoz assisté de Nadia Cherouk
Photos : © J. Stey
Théâtre Montparnasse • 31, rue de la Gaîté • 75014 Paris
Réservations : 01 43 22 77 74
Site du théâtre : www.theatremontparnasse.com
Métro : Gaîté ou Edgar‑Quinet
Du 7 février au 30 avril 2017, du mardi au samedi à 20 h 30, samedi à 17 h 30 et dimanche à 15 h 30
Durée : 1 h 30
55 € | 42 € | 40 €