« Bells Are Ringing », de Betty Comden, Adolph Green et Jule Styne, Théâtre de la Croix‐Rousse à Lyon

Virtuelles amours

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Il aura fallu attendre cinquante‑sept ans pour qu’un immense succès de Broadway soit joué en France et en français. C’est ce que proposent Jean Lacornerie, adaptateur et metteur en scène, et Gérard Lecointe, transcripteur et directeur musical, avec la création de « Bells Are Ringing », une comédie musicale de Jule Styne, Betty Comden et Adolph Green. Un pari réussi du Théâtre de la Croix-Rousse et des Percussions Claviers de Lyon. Les représentations ont lieu du 18 au 29 novembre 2013, suivies d’une importante tournée nationale jusqu’en mars 2014.

Le propos tient en peu de mots et fait écho à la folie d’aujourd’hui qu’entretiennent nos contemporains avec les moyens de communication virtuelle. Dans les années cinquante, trois standardistes travaillent dans une agence minable de messagerie téléphonique. L’une d’elles résiste à la répétitivité et à la médiocrité de sa tâche en inventant des personnages pour répondre à ses interlocuteurs. Naïve et rouée à la fois, elle crée ainsi un réseau de fans de ses voix. Ses « mensonges » l’entraînent dans une série d’aventures où les masques finiront par tomber. Au final, happy end oblige dans bon nombre de comédies musicales, elle rencontrera l’amour.

On s’inquiète un instant. Est-ce un contenu de mauvaise littérature de gare, type Gala ou Closer ou auparavant Nous deux ou Confidences ? Mais non. Sur cette trame simple, Jean Lacornerie, qui vise avant tout le divertissement du spectateur, met en orbite dès l’ouverture une machine spectaculaire efficace qui conjugue distance ironique, clins d’œil sarcastiques, humour sur lui-même et ingénuité émouvante. Retenons, par exemple et volontairement dans le désordre pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte du public : les apparitions burlesques d’un inspecteur des mœurs, d’un escroc pseudo-mélomane ou d’un couple de petits malfrats, les prouesses vocales d’Ella Peterson, la standardiste affabulatrice, les expériences gay de Blake Barton, jeune acteur avide de réussir. Ou encore les pratiques échangistes de Jeffrey Moss, auteur dramatique en panne d’inspiration, les candides et désarmantes silhouettes des passagers du métro new-yorkais en mal de solitude.

Autre aspect qui participe à l’intérêt du spectacle, l’astucieuse scénographie de Bruno de Lavenère, qui marie décor tournant et projections d’images, apportant souplesse et fluidité à l’enchaînement des séquences. À retenir, entre autres belles surprises, le spot publicitaire qui ouvre la représentation ou l’animation visuelle du métropolitain. Le metteur en scène s’empare avec sûreté de ces dispositifs, choisissant de ne jamais s’attarder. Il déborde ainsi la candeur du propos en soutenant le rythme des rebondissements de l’action.

Ce tempo se retrouve bien évidemment dans le jeu des interprètes : soutenu mais avec pédale douce. Sophie Lenoir et Jacques Verzier dans les deux rôles-titres d’Ella Peterson et Jeffrey Moss sont parfaitement à l’unisson de la dramaturgie. La comédienne, qui ressemble à s’y méprendre à Annie Cordy, pas celle de Tata Yoyo mais celle de Hello, Dolly, délivre une partition remarquable : finesse des intentions, aisance corporelle, humour décapant et virtuosité vocale. Le comédien, qui est un artiste expérimenté des comédies musicales, décline avec facilité les facettes de son rôle : écrivain paumé et velléitaire, homme désenchanté, amoureux compulsif, tout cela servi par une agilité physique et vocale impeccable. Avec eux, l’ensemble de la distribution est à l’unisson, rien d’appuyé, compositions équilibrées et précision des interventions.

Enfin, il y a la performance collective des Percussions Claviers de Lyon. Sous la direction de Gérard Lecointe, les musiciens, dominant les contraintes techniques que leur impose la scénographie, exécutent magnifiquement une superbe transcription pour pianos, marimbas, vibraphones et xylophones de la musique originale de Jule Styne. Préservant l’énergie et le rythme de l’écriture initiale, ils inventent une lecture délicate, suave et ironique de la composition. Pas d’emballements hystériques des instruments à cordes, pas de tonitruants chorus de cuivres, qui sont souvent des clichés des orchestrations américaines. Superbe travail donc qui est un élément majeur de la qualité du spectacle.

Tout bien pesé, même si les chorégraphies sont parfois un peu molles et convenues, même si les costumes « vintage » manquent d’imagination, même si l’ouverture musicale de la seconde partie mériterait d’être jouée dans le noir pour éviter qu’elle le soit au milieu des bavardages des spectateurs, Bells Are Ringing est un rendez-vous à ne pas manquer pour ceux qui souhaitent, le temps d’une soirée, ne pas se prendre la tête et s’abandonner au plaisir d’un spectacle intelligent et délassant. Amateurs de bonbons acidulés et de comédie caustique et musicale, précipitez-vous. 

Michel Dieuaide


Bells Are Ringing, livret et lyrics de Betty Comden et Adolph Green

Musique : Jule Styne

Adaptation et mise en scène : Jean Lacornerie

Direction musicale et transcription : Gérard Lecointe

Avec : Gilles Bugeaud, Claudine Charreyre, Estelle Danière, Quentin Gibelin, Sophie Lenoir, Julie Morel, Elena Bruckert, Colin Melquiond, Maud Vandenbergue, Jacques Verzier, Franck Vincent

Chorégraphie : Raphaël Cottin

Décors : Bruno de Lavenère

Lumières : David Debrinay

Costumes : Robin Chemin

Coiffure et maquillage : Nathy Polack

Images : Étienne Guiol, assisté d’Arthur Sotto

Son : Emmanuel Sauldubois

Photos : © Bruno Amsellem / Signatures

Avec les Percussions Claviers de Lyon : Raphaël Aggery, Sylvie Aubelle, Jérémy Daillet, Gilles Dumoulin, Gérard Lecointe, Sébastien Jaudon

Direction technique : Gilles Vernay

Régie lumières : Joachim Richard

Poursuite : Thomas Hilly

Régie vidéo : Christophe Braconnier, Arnaud Perrat

Régie son : Bertrand Maia

Régie plateau : Georges Keraghel, Mathieu Hubert, Guillaume Ponroy

Habilleuses : Anne Théodore, assistée de Margot Jobard

Administratrice de production : Marie Dunglas

Production : Théâtre de la Croix-Rousse

Coproduction : Les Percussions Claviers de Lyon, La Clef des chants, association régionale de décentralisation lyrique, région Nord – Pas‑de‑Calais, Opéra Théâtre de Saint‑Étienne

Avec le soutien d’A.T.S. Studios

Avec l’aide à la production d’A.R.C.A.D.I.

Durée : 2 h 30 avec entracte

Les 18, 19, 21, 22, 26, 27, 28, 29 novembre 2013 à 20 heures, le 23 novembre à 19 h 30, le 24 novembre à 15 heures

Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès-Ambre • 69004 Lyon

Tél. 04 72 07 49 49

http://www.croix-rousse.com/

Tarifs : de 26 € à 5 €

Tournée 2013 / 2014 :

  • Opéra de Rouen, 18 au 20 décembre 2013 à 20 heures
  • Nouveau Théâtre de Montreuil, 24 et 26 décembre 2013 à 19 h 30, 25 décembre 2013 à 17 heures
  • Opéra Théâtre de Saint‑Étienne, 11 janvier 2014 à 18 heures
  • Scène nationale de Besançon, 16 janvier 2014 à 20 heures
  • Scène nationale de Mâcon, 19 janvier 2014 à 17 heures
  • La Piscine à Châtenay-Malabry, 22 janvier 2014 à 20 h 30
  • Le Granit à Belfort, 25 janvier 2014 à 20 heures
  • Scène nationale d’Orléans, 4 février 2014 à 20 h 30
  • Théâtre Monsigny à Boulogne-sur-Mer, 8 février 2014 à 20 h 30
  • Maison de la culture de Bourges, 13 et 14 février 2014 à 20 heures
  • Opéra de Reims, 18 février 2014 à 20 heures
  • Espace culturel Boris‑Vian aux Ulis, 14 mars 2014

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