Trois faux riens forains
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Dans son chapiteau suranné, le Petit Théâtre de Gestes, ses petits riens et son minuscule chien nous offrent de grands moments de poésie et de tendresse. Une pincée de Kantor, un souvenir de Calder, et des airs burlesques rendent « Bêtes de foire » infiniment précieux.
Tout le monde n’a pas eu la chance de vivre dans un village perdu où, une fois l’an, un cirque pauvre exhibait pour uniques attractions un chien (ou une chèvre) juché sur un tabouret et une gymnaste aux collants maillés. Il reste à l’imaginer comme on rêverait un cirque bariolé, forain, où les fantaisies d’un Méliès avaient leur place. Heureusement, c’est un peu ce à quoi invite Bêtes de foire avec ses couleurs passées, ses costumes ravaudés et ses machines étranges.
Dès qu’on pénètre dans le microchapiteau encombré, l’on se sent en effet comme propulsé dans un monde parallèle. Ce chapiteau-là ne ressemble en effet à rien d’autre. D’abord, on y est accueilli par une musique aux accents circassiens inaudibles et vaguement effrayants. Un dispositif dont on taira le secret rend les mines de Monsieur et Madame Loyal patibulaires. Ensuite, si on dirait la piste minuscule faite pour une chambre d’enfants, on devine des coulisses aux ramifications tentaculaires et pleines de ressources. Surtout, dans ce lieu qui ressemble à un atelier de confection, on croirait les objets capables de s’animer à tout instant. Merveille. Rien d’étonnant alors que ce soit un homme-orchestre mécanique qui ouvre et ferme le spectacle par son tour de piste.
Il surgit comme ces figures qui, du haut des cathédrales, signifient que le temps a passé. Trois petits tours et puis s’en vont : le tour de piste est un tour de cadran. Et on imagine bien en filigrane de Bêtes de foire comme une douce et mélancolique méditation sur le temps et la fragilité des choses. Sur scène, les êtres apparaissent puis s’abolissent. Souvent, animaux et figures humaines semblent fatigués par la vie. Cette dernière a accentué leur trait, les a durcis ou résignés. Elsa De Witte campe ainsi une maîtresse femme, tricoteuse bidouilleuse toujours sur le qui-vive tandis que Laurent Cabrol se glisse dans les habits d’un Keaton, d’un Mister Bean dominé. Cette magnifique figure de perdant nous joue la comédie de l’échec avec une sensibilité et une finesse qui font surgir la tendresse. Ainsi, l’homme et la femme, la forte et le fragile retrouvent le duo archétypal de l’Auguste et du Clown blanc en le renouvelant.
La valse du temps
Mais ce couple-là en invite d’autres dans sa danse : couples de fer, ou d’étoffe qui vont toujours les yeux dans les yeux. Et leur valse a cent ans, a mille ans. Ils n’ont plus d’âge, mais leurs prouesses fantastiques font la nique à la mort et à l’outrage du temps. C’est simple et doux. Le Petit Théâtre de Gestes a ici l’art de créer l’émotion, comme il fait rire par les situations incongrues ou surprend par son usage insolite des mécanismes et des mannequins. Ces derniers ne sont pas de fait confrontés à des périls que l’homme ne saurait endurer (ou alors ce sont de faux périls malicieusement soulignés), mais sont des figures de l’humaine condition. Par ailleurs, Elsa De Witte et Laurent Cabrol en révèlent les rouages, comme ils font à vue la régie du spectacle, exhibent de petits trucs. Ainsi, la facticité permet-elle de souligner le côté artisanal, fragile des objets et du spectacle.
Voici donc un cirque de personnages et de surprises, d’histoires jamais cousues de fil blanc. On y rit beaucoup, on se prend d’amitié pour ces caractères. Un tout petit grand cirque ! ¶
Laura Plas
Bêtes de foire, de Laurent Cabrol et Elsa De Witte
Petit Théâtre de Gestes
06 64 70 07 47
Site : http://www.betesdefoire-petittheatredegestes.com/
Courriel : cie.betesdefoire@gmail.com
Avec : Laurent Cabrol et Elsa De Witte
Scénographie et décor : Laurent Cabrol et Elsa De Witte
Assistant à la scénographie et au décor : Fred Sintomeret et Antonin Bernier
Sculpture des personnages : Steffi Bayer
Construction des personnages : Ana Mano, Thierry Grand
Création musicale : Mathias Imbert, Natacha Muet, Piéro Pépin, Érick Walspeck
Création son : Francis Lopez
Création lumière : Hervé Dilé
Photo : © Lionel Pesqué
Espace Vincent-de-Paul, île Piot • chemin de l’Île‑Piot
• 84000 Avignon
Réservations : 04 32 76 20 51
Du 10 au 26 juillet 2014 à 11 heures, relâche les 14 et 21 juillet
Durée : 1 heure
Dès 6 ans
14 € | 10 € (carte Off) | 7 € (moins de 10 ans)
Tournée :
- Du 18 au 23 août 2014, au festival de Nexon : La Route du sirque
- Du 20 au 30 septembre 2014 : au Bois de l’Aune à Aix-en-Provence
- Du 7 au 15 octobre 2014 à la Scène nationale d’Albi
- Du 19 au 21 décembre 2014 au Théâtre de la Criée, Marseille
- Du 13 au 18 janvier 2015 au Théâtre de Cusset
- Du 24 janvier au 16 février 2015 à la Biennale du cirque de Marseille
- Du 21 au 23 février 2015 à Saint-André-de-Cubzac