BIAC 2025, Biennale Internationale des Arts du Cirque, Reportage, Région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur

Sabotage-NoFit State Circus © Mary-Wycherley

De grands écarts en grands accords

Léna Martinelli
Les Trois Coups

La BIAC continue de rayonner sur la ville phocéenne et toute la région jusqu’au 9 février. Au programme : des compagnies majeures et émergentes qui partagent une vision de l’art vivante et généreuse, dans de grands formats, comme des solos intimistes. Parmi nos coups de cœur : outre le galvanisant « Sabotage », autour des valeurs de liberté, de courage et d’inclusion, les éclairants « Hourvari » et « En amour » ont retenu toute notre attention. Lire aussi notre ciritique du réjouissant « Fame TV », vu dans le cadre des Journées Pro, dans le cadre du festival Les Élancées, à Istres, mais qui a été programmé dans d’autres lieux de la région.

Après un week-end inaugural réussi à la Friche, terrain de jeu idéal où s’envoyer en l’air, avec ces artistes virtuoses entre terre et ciel (lire le reportage de Juliette Freitas), direction le Village des chapiteaux, derrière Les plages du Prado, le cœur de la manifestation. Hourvari nous plonge dans un univers bien singulier, qui est sans nul doute celui d’un cirque d’autrice. Rasposo est une des compagnies actuelles les plus radicales et les plus inventives, aussi.

« Hourvari », un charivari mené de mains de maîtres

Happés dans la gueule de la baleine qui trône au-dessus de l’entrée, on a droit à un vrai bain de foule. L’oppression ne dure que quelques minutes, le temps d’une introduction qui donne le ton. Attiré par le sensationnel, le chaland va-t-il être floué ? Le public est bousculé, poussé dans ses retranchements. Les personnages énigmatiques, le trouble entre le vrai et le faux sont déconcertants. Surtout, l’agitation permanente et le propos grinçant peuvent déranger.

Reflet d’une époque, d’une culture, et d’une forme unique de satire sociale, Guignol nous guide sur le chemin de la réflexion : vaut-il mieux la sécurité ou la liberté ? C’est une marionnette, certes, mais elle est rusée. Suffisamment pour ouvrir les yeux du peuple, si enclin à se faire manipuler. Un hourvari est une ruse qu’emploie le gibier afin de tromper les chiens. Serions-nous des moutons ? Toujours est-il que, d’emblée, le troupeau se presse pour regagner ses places.

« Hourvari », cie Rasposo © Ryo Ichii

Voilà une ode à la désobéissance qui fera peut-être bouger les lignes, car les interprètes nous (r)éveillent, finalement. Malgré l’apparente confusion et une visibilité réduite (la piste circulaire n’est pas exploitée cette fois-ci, mais on le répète, on ne va pas dans le chapiteau Rasposo pour trouver le confort !), le spectacle bouge les cadres, notamment grâce à une ingénieuse scénographie, qui permet de remarquables numéros et des images très fortes, des tableaux à la croisée du théâtre, de la performance et du cirque.

Symbolisant le passage entre le passé et la modernité, Hourvari est également une allégorie du lien existant entre le cirque traditionnel et le cirque contemporain, avec la transmission aux propres enfants du couple Marie Molliens – Robin Auneau, sur scène ou sur le côté (à la batterie et sur la petite table d’écolier) et même sur le fil. Après le chaos, l’harmonie. Après l’effondrement, la relève. Peu importe le bonnet d’âne ! La connaissance échoue à sauver le monde. L’expérience est peut-être d’une plus grande utilité. Développons, donc, l’esprit critique, comme le suggère Marie Molliens (lire la critique de Laura Plas).

« Sabotage » : du cirque inclusif

En face, la compagnie galloise NoFit State Circus, qui avait d’ailleurs fait l’éloge de l’indiscipline dans Lexicon (lire la critique de Juliette Nadal), explore les marges et les luttes avec une joie communicative. Dans Sabotage, les neuf acrobates accompagnés de trois musiciens, bousculent les codes traditionnels du cirque dans des numéros de haute voltige époustouflants (capillotraction, échelles, trapèze), mais aussi un extraordinaire numéro collectif de roue cyr ou une performance inoubliable sur le fil… 

Ils nous parlent d’un monde mis à rude épreuve, en proie à de multiples rapports de force (déplacements de population, crise climatique ou politique). On pense à Brecht. D’ailleurs, par moments, la musique semble inspirée de Kurt Weil. Où qu’ils aillent, les personnages de Sabotage ne sont pas bienvenus. Qu’à cela ne tienne : ils déploient une énergie incroyable pour s’imposer. En ouverture et en final, un acrobate exceptionnel sur béquilles et un autre Queer, juché sur ses hauts talons, marquent les esprits. Leur sortie digne, main dans la main, est magnifique. Entre temps, migrants refoulés, bateleurs de fête foraine, participants de carnaval, anticonformistes se relaient dans ce vaste espace de tous les possibles.

On s’attendait à du divertissement XXL. On est en effet servi, avec une palette d’émotions variée en seconde partie. Entre chaque prouesse, les transitions sont très bien mises en scène. Les séquences s’enchaînent avec fluidité. Lumières, costumes, accessoires, musique, tout est bien étudié. Malgré leur polyvalence, les interprètes impressionnent par leur présence et leur talent. Bravo !

Un « Récit des yeux » très visuel

À présent, cap sur Le Mucem qui a imaginé, avec Archaos, 5 week-ends de spectacles et d’ateliers dans le cadre de Pulsations ! Nous y avons découvert Récit des yeux (cie Sombra). Depuis plus de vingt ans, Carlos Muñoz se consacre à une jonglerie visuelle et plastique nourrie de photographie. Cette pièce nous raconte l’expédition d’un homme, suivi par des objets circulaires représentant des yeux. Ce sont autant d’êtres vivants qui, sur des rythmes électroniques, sont manipulés par l’artiste. Ils se déplacent, se déforment, dans d’amusantes illusions optiques. Les déplacements sont très chorégraphiés.

Idée intéressante car on s’interroge souvent sur le regard du jongleur : quelle balle regarder plutôt qu’une autre ? Doit-on privilégier une vision globale ? Toutefois, dommage, le propos est trop ténu : la quête du personnage se résume à un tête-à-tête avec ces objets. L’artiste nous en met plein les yeux grâce à d’heureuses trouvailles. Guidé par des machines à jongler et des sculptures cinétiques, il évolue dans un univers futuriste. L’ensemble n’est hélas pas tout à fait abouti, avec des problèmes de transition et des fins de numéros à retravailler.

« En Cirque ! » : retour vers le futur

Pas vraiment emballée, donc, on a enquillé à l’exposition En Cirque ! Clowns, pitres et saltimbanques, toujours au Mucem, bien qu’elle ne fasse pas partie de la programmation de la BIAC. Dans cette célébration teintée de nostalgie, qui caractérise le style de Macha Makeïeff, une profusion d’objets fétiches côtoient des œuvres magistrales représentant les arts du cirque. Avec Vincent Giovannoni, conservateur en chef, la commissaire et scénographe a pioché dans sa propre collection ou celles, riches de près de 35 000 pièces, du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et effectué de nombreux prêts.

© Sarah Meneghello

Avec une mise en lumière de Jean Bellorini et une bande-son signée Sébastien Trouvé, la scénographie est sublime. Pour éviter le côté « inventaire », Macha Makeïeff a pensé le plateau de 1 200 m2 comme une scène que les visiteurs traversent librement, de la parade aux loges, de la piste aux roulottes. Éparpillés, des tabourets ou marchepieds prolongent l’impression de pénétrer dans les coulisses d’un spectacle ou les baraques de foire. Les représentations des saltimbanques dans les autres arts sont autant de respirations. Même si le voyage est immobile, même si cette vision est très personnelle, avec des partis pris assumés, nous sommes embarqués sur cette piste aux étoiles (voir notre critique).

« En amour » : numérique, organique, onirique

Après cette traversée sensible, où pourtant l’on ne peut rien toucher, changeons de siècle ! Dans un heureux alliage du mouvement et des arts numériques, Adrien Mondot et Claire Bardainne ont inventé En amour, une expérience immersive et interactive, à l’intersection du spectacle vivant, de la performance et des arts visuels, qui nous projette dans un autre univers. D’ailleurs, créée en février 2024 au Musée de la musique Philharmonie de Paris, cette œuvre a été sélectionnée dans le cadre de la Compétition Immersive au Festival de Cannes.

Alors, pourquoi sa programmation dans le cadre de la BIAC ? Adrien Mondot est un artiste multidisciplinaire. Son travail explore et interroge le mouvement, au point d’intersection entre l’art du jonglage et l’innovation informatique. Il développe des outils technologiques aptes à nous affranchir des règles de l’apesanteur et du temps, à brouiller les pistes. Il est donc aussi un peu un magicien des algorithmes.

« En amour », Claire Bardainne et Adrien Mondot © Joachim Bertrand © Sarah Meneghello

Nous voici conviés au cœur d’une grande pièce où une partie du sol et des murs est surface de projection. Plusieurs écrans prolongent l’image à la verticale. En voix off, Claire Bardainne évoque la transformation de chacun à travers la relation amoureuse, sujet universel. Immergé dans l’image et la musique spatialisée (dont November Ultra au chant), le public est invité à improviser des déplacements et interagir avec les projections. Déambulant, pieds nus, dans cet environnement sensible et réactif, le corps du public est une composante de l’œuvre : les images sont modifiées par sa présence grâce à des vidéo projecteurs, ordinateurs et caméras infrarouges.

La narration prend sa source dans une histoire intime et s’ouvre en grand afin de partager un parcours de sons et de mots, de formes et de couleurs, de sensations et d’émotions. Inspiré de l’eau (ruisseaux, mer) et du ciel (nuages, étoiles), le travail de superpositions et de perspectives est intéressant. On est enveloppé de toutes parts par cette matière riche en textures, qu’elles soient visuelles ou sonores.

« En amour », Claire Bardainne et Adrien Mondot © Joachim Bertrand

Comme les infinies nuances des sentiments, cette forme se métamorphose, vibre avec plus ou moins d’intensité. Entre contemplation et énergie des flux, éclats et douceur, cette plongée onirique stimule notre sensibilité de façon étonnante, nous éclaire : « Conscients des paradoxes et des ambivalences liés à l’usage des nouvelles technologies », les deux artistes visent à créer « des expériences symboliques, des formes ingénieuses et poétiques de créations numériques ».

Leurs projets incitent même à réinventer nos relations en inventant« de nouvelles façons d’être ensemble, de nouveaux rituels, à la mesure des enjeux de société contemporains, et directement reliés à notre vécu intime (…) pour proposer une puissante douceur plutôt qu’une extrême violence ». Quelle joie d’habiter ainsi la scène pour donner vie à cette histoire d’amour en voie de déliquescence, ou plutôt à cette séparation régénératrice !

Léna Martinelli


Hourvari, cie Rasposo
Site de la cie
Écriture, mise en scène, lumière : Marie Molliens
Avec : Robin Auneau, Eve Bigel, Camille Judic, Niels Mertens, Marie Molliens, Achille et Orphée Molliens, Tiemen Praats, Joséphine Terme, Seppe Van Looveren, Claire Mevel, Benoit Segui
Assistants à la mise en scène : Robin Auneau, Fanny Molliens
Regard chorégraphique : Milan Herich
Village chapiteaux • Plages du Prado • 13008 Marseille
Du 17 au 26 janvier 2025
Dès 7 ans
Durée : 1 h 30
Tournée ici :
• Du 30 avril au 2 mai, 13e Sens, dans le cadre du festival Pisteurs d’Étoiles, à Obernai (67)
• Du 7 au 8 mai, Association TRAC / Jonglissimo, en partenariat avec Les Jardins Parallèles et la Ville de Betheny (51)
• Du 14 au 15 mai, Le TCM, Théâtre de Charleville-Mézières (08)

Sabotage, NoFit State Circus
Site de la cie
Directeur artistique et producteur : Tom Rack
Autrice et metteuse en scène : Firenza Guidi
Compositeur : David Murray
Gréeur et interprète : Wout Deneyer, Tom Green
Avec : Aurora Morano, Besmir Sula, Bruno Toso, Gracie Marshall, Manu Melani, Tara Talland, Alexandre Duarte, Ruby Gaskell, Teddy Helemaryam, Trystan Chambers
Musiciens : Lisa Savini, Toby Mottershead, Scarlett Alexander
Durée : 1 h 30
Dès 6 ans
Village chapiteaux • Plages du Prado • 13008 Marseille
Du 16 janvier au 8 février 2025

Le Récit des yeux, cie Sombra
Site de la cie
De et avec : Carlos Muñoz
Régisseur complice : Alejandro Castillo
Regard dérisoire en jonglerie : Alejandro Escobedo
Musique et création d’objets : Carlos Muñoz
Durée : 40 min
Dès 7 ans
Mucem Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée • Auditorium • Esplanade du J4 • 13001 Marseille 
Du 12 au 25 janvier 2025
Dans le cadre du cycle Pulsations

En amour, Adrien M et Claire B
Site de la cie
Conception, direction artistique, images et scénographie : Claire Bardainne, Adrien Mondot

Composition, conception sonore, saxophone : Laurent Bardainne
Conception et écriture du récit : Claire Bardainne
Conception et développement informatique : Adrien Mondot, Eva Décorps, Loïs Drouglazet
Régie générale : Jean-Marc Lanoë
Direction technique : Raphaël Guénot
Conseil dramaturgique : Karthika Naïr
Durée : 40 min
Dès 6 ans
Durée : 1 h 30
Cité des arts de la rue • 225, av. Ibrahim Ali / Aygalades • 13015 Marseille • Tel. : 04 91 03 81 28
Tous les week-ends, du 18 janvier au 9 février à 11 heures, créneaux de 40 minutes à 14 heures, 16 heures, 18 heures
Tarif : 6 €
Dans le cadre de la Biennale des imaginaires numériques
Réservations : en ligne ou au 07 51 22 76 51

Biennale Internationale des Arts du Cirque 2025
6édition, du 9 janvier au 9 février
Site Internet
Archaos PNC • 22, bd de la Méditerranée • 13015 Marseille • Tel. : 04 91 55 62 41 • Mail
Région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur

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Photos : « Sabotage », NoFit State Circus © Mary Wycherley

 

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