Chainon manquant 2024, Reportage, Laval, Changé

Vue aérienne du Village Boston © Francois Parmentier.jpg

Vive la rentrée au Chainon manquant !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

La 33e édition du Chainon manquant vient de s’achever. Au menu : plus de soixante-dix spectacles, avec des artistes venus de la France entière. Festival de la rentrée pour de nombreux professionnels, on y fait de bien belles découvertes.

L’un des premiers diffuseurs de France, le Chainon manquant génère, chaque année, la programmation de plus de 1.200 représentations sur tout l’hexagone, principalement des lieux de proximité (théâtres municipaux, scènes conventionnées, Maisons de la Culture, etc.). 805 accrédités se sont retrouvés à cette édition.

Levier de développement économique d’un circuit culturel équitable et solidaire, cette plate-forme artistique offre une visibilité aux artistes et permet aux professionnels d’échanger autour de la qualité des projets. Conçu comme un maillon, le Chainon manquant s’appuie sur 11 fédérations ou coordinations régionales, qui représentent l’ADN de la programmation puisque, 33 spectacles du festival (sur 74) sont sélectionnés par elles. À noter que les 383 adhérents (professionnel.le.s (directrice.eur.s de théâtres, service culturels, etc.) donnent de leur temps pour le réseau. L’organisation conjuguée des Région(s) en scène(s), du festival et des tournées annuelles touche chaque année environ 350.000 spectateurs.

127 représentations dans Laval Agglomération

Pour l’heure, c’est dans une vingtaine de lieux que nous avons pu assister à quelques-unes des propositions. Lors de l’inauguration, le maire, Florian Bercault, s’est réjoui de cette effervescence : « Il y a le Festival d’Avignon et… le Chainon manquant. On ouvre grandes les portes de nombreux lieux et l’ancrage territorial du festival entraîne une mobilisation hors du commun : 267 bénévoles, ce n’est pas rien ! Depuis plusieurs jours, la ville vit donc au rythme trépidant du festival. Nous sommes ravis d’accueillir cette manifestation d’envergure, qui n’en demeure pas moins à taille humaine. C’est une belle source d’émotions et de rencontres ».

Village Boston © François Parmentier ; Inauguration avec, de gauche à droite : François Gabory (président du Chainon manquant), Florian Bercault (maire de Laval), Florence Gnesutta (codirectrice du Chainon manquant), Alexandre Thebault (conseiller régional) et Christine Nadaud (adjointe culture au maire de Changé) © Sarah Meneghello

En effet, le Prologue permet d’ancrer l’identité du Chainon manquant dans toute l’Agglomération, avec un parcours permettant de (re)découvrir des spectacles présentés lors d’éditions précédentes. Ainsi, ce rayonnement s’intensifie-t-il au cœur des territoires, dans toute la région des Pays de la Loire, afin de prolonger l’expérience et la partager avec un large public.

À la tête du réseau, Florence Gnesutta et Kevin Douvillez insistent sur les principes fondateurs qui les animent : coopération, mutualisation, circulation. Des valeurs liées à l’économie solidaire qui témoignent que ce « vieux » festival (fondé en 1991) était déjà en avance sur son temps.

Entrez dans la danse !

Avec plus de la moitié des propositions en musique, cirque et humour, la programmation se veut éclectique mais à l’image de la création actuelle : protéiforme et bigarrée, en reflet des mutations de notre monde. Bien que sans têtes d’affiche, les spectacles sont grand public. Toutefois, certains ne manquent pas d’audaces.

C’est le cas de Jusqu’au soir, une dystopie qui se transforme en épreuve. Scène jonchée de cendres, néons blafards qui clignotent dans une pénombre d’où émergent des corps traumatisés, bande-son assourdissante… Il s’agit de se relever après le chaos, en dépit de l’effroi des catastrophes, malgré les menaces : « Nous opposerons à la noirceur d’un monde chaotique, le simple goût de vivre l’élan, la joie du mouvement, l’énergie, l’envie de la survie et, en dépit de tout, l’envie de continuer, de témoigner à notre manière et d’imposer notre présence au monde, coûte que coûte… », lit-on dans la note d’intention de La Presque Compagnie. Entre rage et douceur, cette danse intuitive s’affranchit des codes pour incarner la résistance, avec des corps libres et engagés, animés par de salutairespulsions de vie. Quel univers ! Mais, en sortant de la salle l’après-midi, nous avons été nombreux à être soulagés que le soleil nous éblouisse, encore.

D’ailleurs, nous remarquons une programmation danse plus étoffée cette année : afin de répondre au besoin viscéral de faire corps ? D’en finir avec le blabla ? Parce que, aujourd’hui, une même personne peut dire tout et son contraire, dans une même déclaration ! Si nous sommes très attachés aux mots, nous le sommes autant aux images puissantes et aux mouvements de l’âme exprimés par certains artistes. Donc, pourquoi pas ?

Musique, humour et théâtre

Bien sûr, impossible de tout présenter. Nous attirons l’attention sur le line up musical, toujours de qualité, que ce soit sous le chapiteau du village Boston ou au 6PAR4, scène de musiques actuelles (lire notre focus). Chaque nouvelle édition est une promesse de belles découvertes.

En toute confiance, on se laisse volontiers guider par le repérage dans les autres disciplines, notamment l’humour, où nous manquons de références. Le Plateau fait se côtoyer Alex Vizorek, déjà venu, à Ghislain Blique, Lisa Delmoitiez, Tristan Lucas et Olivia Moore. Voilà une personnalité attachante qui n’éclipse pas l’intérêt porté à l’émergence ! Sans oublier Marion Mezadorian, Gabriel Donzelli et Wally.

« L’Abolition des privilèges » © Le Royal Velours ; « Jubilä », Leïla Martial © Picturaline ; « Trois, Quatre… », Canailles Rock © Julien Bouzille

Le théâtre n’est pas en reste pour nous faire rire. Contre toute attente, l’hilarant Kermesse (Collectif La Cabale) nous a aussi épatés par sa profondeur, faisant de cette danse un sujet politique, sociologique et écologique (lire notre critique). Epidermis Circus (SNAFU), porté par la talentueuse Ingrid Hansen, marionnettiste aguerrie, ce théâtre d’objet à l’inventivité débridée nous a enchantés (lire notre critique). Moins drôle, mais non moins intéressant, l’Abolition des privilèges (Le Royal Velours), solo virtuose porté par Maxime Pambet, plonge le public en plein cœur des États Généraux de 1789 (lire la critique de Laura Plas). Un des spectacles plébiscités par les programmateurs.

À voir en famille

Plusieurs sont jeune public, ciblent même les bébés : pour Ptitecouti, Ayako Okubo offre aux enfants (moins de 3 ans) une expérience unique d’écoute ; Au fond des mers (Le Collectif 23h50) explore la correspondance entre l’univers sous-marin et l’espace intra-utérin, avec un mélange de théâtre d’ombres, de jeux de lumières, de marionnettes, de mouvements et de chorésigne (accessible dès 6 mois) ; Quant à Trois, Quatre… (Canailles Rock), il se propose d’être le premier concert de grande musique à destination des tout-petits (dès 3 ans).

Dans Cordalinge, ciné-concert dès 5 ans, la matière des objets et des tissus se transforme en écran sur lequel apparaît et disparaît un cousin du personnage animé de la Linea, en interaction avec le second interprète. Tous deux tirent le fil, celui de la vie, avec ses hauts et ses bas, sa fragilité. L’un avec délicatesse et l’autre dans sa touchante maladresse. Même s’il gagnerait à être épuré, le spectacle ne manque pas de charme. Il regorge de trouvailles. Chaque projection crée une surprise. Multi-instrumentiste, comédien manipulateur et poète accompli, JereM présente ici un opus très personnel.

Les arts de la rue étaient en fête le dernier week-end avec quatre propositions, dont celle du Groupe Berthe : Superbe(s) est une forme participative qui invite le public à « s’y croire », à l’instar de Madonna, Philippe Katerine, Pina Bausch, David Bowie, une choriste de Tina Turner ou Billie Eilish.

Du côté du cirque (pour adultes), Amants (Cirque Exalté) fait partie des spectacles déjà vus : une célébration de l’amour et des danses (lire notre critique). En revanche, nous avons découvert le Repos du guerrier, une auto-fiction qui se vit comme une expérience. Malin, Édouard Peurichard rejoue son parcours professionnel et ose (presque) tout. La thématique de la confiance est ici traitée de façon originale dans une auto-fiction qui se vit comme une expérience (lire notre critique).  Parmi ceux que nous n’avons hélas pas pu voir : Géométrie Variable, où la cie du Faro utilise la magie pour démonter les mécanismes des Fake news. Un judicieux parallèle entre les mentalistes et les géants du numérique, tous experts dans la manipulation de notre attention.

Terminons sur une proposition insolite que nous espérons découvrir ailleurs : au Jardin Perrine, la cie Mycélium (la Symphonie des chauves-souris) a échangé des signes avec ces mammifères, grâce à un détecteur d’ultrasons permettant de chanter et de faire de la musique avec eux, lors d’une veillée initiatique, entre science joyeuse, textes poétiques et musique électronique.

Décidément, le Chainon manquant n’en finit pas de nous étonner et de nous ravir. Il est désormais incontournable.

Léna Martinelli


Jusqu’au soir, de La Presque compagnie

Site de la cie
Chorégraphie, musique et lumières : Charlotte Rousseau
Avec : Ambre Duband, Eléonore Guipouy, Tésia Peirat, Charlotte Rousseau, Jeanne Stuart
Régie : Hélène Lefrançois (lumières), Jérome Jeans (son)
Durée : 1 h 05
Dès 12 ans
Salle polyvalente • Place de Hercé • 53000 Laval
Tournée ici

Cordalinge, de JereM

Site du label Adone
Direction artistique, musiques et bruitages : JereM Boucris

Interprétation musicale : JereM Boucris, en alternance avec Antoine Guyomard, Raphaël Dalaine
Regards extérieurs : Damien Dutrait et Laurent Fraunié
Création vidéo : Antoine Guyomard
Création lumières : Philippe Domengie et Soraya Sanhaji
Duré : 45 min
Dès 5 ans
L’Atelier des arts vivants • 2, rue Bordagers • 53810 Changé
Tournée ici 

Dans le cadre du Festival Le Chainon manquant, du 17 au 22 septembre 2024 à Laval et Changé
Toute la programmation ici
De 6 € à 15 € par spectacle
Réservations : en ligne ou au 06 73 81 09 84 ou au village Boston pendant le Festival, sur place uniquement pour les représentations se déroulant au Théâtre de Laval
Toutes les infos pratiques ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛  Entretien avec François Gabory, Le Chainon Manquant 2019, propos recueillis par Léna Martinelli

Photo de une : Vue aérienne du Village Boston © Francois Parmentier

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