Focus « Vive l’Histoire » : « L’abolition des privilèges », cie Le Royal Velours, TtB, « Nos Jardins », cie du Double, 11 Avignon, Festival Off Avignon 2024

Nos-jardins-cie-Le Double © Géraldine Aresteanu

Racontez-moi une l’Histoire !

Laura Plas
Les Trois Coups

Rien de plus passionnant que l’Histoire quand, sortie des cahiers, elle se fait chair et résonne avec le présent. C’est la leçon de deux spectacles vivifiants : « L’Abolition des privilèges » de la cie Le Royal Velours et « Nos Jardins » de la cie du Double.

Nuit du 4 août 1789 : la noblesse et le clergé proposent et entérinent la fin d’un ordre qui leur était favorable. C’est comme si aujourd’hui les multinationales, les superpuissances prônaient de faire cesser leurs pouvoirs iniques. Dingue et digne de tous les blockbusters, non ? De fait, l’évènement structure un roman historique si palpitant qu’Hugo Duchêne choisit de le mettre en scène. Il s’agit de L’Abolition des privilèges, que Bertrand Guillot a publié aux Éditions d’Avril et dont Joel Pommerat pour Ça ira, fin de Louis, se serait inspiré.

Fidèle à la structure du roman, le metteur en scène de la compagnie Le Royal Velours, tente aussi d’en exprimer la rapidité, les coups de théâtre. Nous voici projetés en pleine action. Un début superbe et inattendu (que donc nous ne révèlerons pas) nous a fait embarquer dans une machine à remonter le temps jusqu’au fameux 4 août. Nous voici même situés au cœur de la mêlée, devenus membre de cette toute jeune Assemblée nationale qui rassemble clergé, noblesse et tiers état, tous groupes hétérogènes et tiraillés eux-mêmes de tensions. Comment ? Grâce à un dispositif quadri-frontal qui reprend l’organisation de la salle et nous fait intégrer un des ordres.

À la hauteur de l’évènement

Cette scénographie permet aussi à Maxime Pambet, narrateur et interprète, de circuler, changeant de rôles quand il change de places. Venant au plus près des spectateur·ice·s, il les harangue ou prend à partie. Le dynamisme de la pièce tient donc aussi à la qualité de son interprétation. Le comédien nous fait ressentir la frénésie du moment par sa tenue, son énergie. Il est à la hauteur de la situation qu’il évoque et ce n’est pas peu.

Alors, on passe sur les transitions un peu moins réussies, les tentatives plus maladroites pour penser l’exclusion des femmes et des personnes racisées. Tout en louant le bel élan de déconstruction virile présent en intermède, on s’interroge sur sa forme : par exemple, il n’aurait peut-être pas été totalement incongru de solliciter une comédienne ?

© Blokaus808

Reste un espoir merveilleux. On a lu la date du 4 août dans les manuels, mais il n’était pas pourtant pas écrit, prévu. L’abolition des privilèges est bien un coup de théâtre qu’on rêverait à nouveau possible, à l’image d’Hugues Duchêne, qui assume l’opposition entre ce spectacle délibérément optimiste et Je m’en vais, mais l’État demeure, sa précédente mise en scène. Merci, ça fait du bien. Pour agir, l’espoir est nécessaire.

Résistance ! Les ados parlent aux ados

C’est précisément ce que clame, Mélie, une des trois protagonistes du nouvel opus d’Amine Adjina et Émilie Prévosteau. Elle ouvre, en effet, Nos Jardins en s’écriant : « Moi, j’y crois ». Elle se bat avec deux camarades du lycée, Manon et Gauthier, pour que des bulldozers ne saccagent pas les jardins ouvriers que leurs parents ont tant choyés. Si le père de Mélie a abdiqué, sa douleur servira de moteur à la rage de sa fille. Quant à la mère de Manon, elle lui a appris à agir, quitte à être traitée de folle. On ne mettra plus la jeunesse à genoux, les mains sur la tête. Cette référence à l’actualité parlera aux adolescents de Seine Saint-Denis et de Navarre…Carton assuré face à un public scolaire.

La formule de cette efficacité était déjà présente dans ce premier volet d’ Histoire(s) de France, que nous avions tant aimé : trois ados, un devoir d’école à réaliser. Pour le ton : fraîcheur et énergie. À nouveau, Nos Jardins propose une relecture très libre de l’Histoire qui trouve écho dans le présent et un théâtre fondé essentiellement sur de jeunes et bons comédiens. La Compagnie du Double a vraiment le génie de la distribution.

Ainsi, si on est happé dès les premières minutes par la bande-son (un atout du spectacle), la voix de Mélisande Dorvault ne rompt pas le charme. Plantée comme la rage, précise et investie, elle est un des visages de la révolte. Puis arrive Manon Hugny qui campe une de ces filles Molotov prêtes à faire exploser l’ancien monde et avec lui le patriarcat, l’exploitation du vivant. À ce personnage d’une insolente liberté, elle donne corps et fougue. Quant à Gauthier Wahl, il sait jouer la séduction piégée de la « start-up nation », et nous rendre sensible l’évolution du personnage, alors même que l’écriture n’est peut-être pas totalement aboutie sur ce point.

Un gars, mais deux filles à la direction des opérations

Cependant, Nos Jardins ne saurait être réduit à un tome 2. Il y a de la révolution féministe dans l’air. Un : les filles sont en majorité, cette fois. Deux : pas d’histoire d’amour à l’horizon. Manon et Mélie ont d’autres choses à faire que de parler de Gauthier et sont trop malines pour se faire avoir par une instrumentalisation du concept de polyamour. Trois : leur domaine, c’est l’extérieur : le jardin, pas le foyer, pas le jardinage à fleurettes. Merci.

Autre changement important : l’Histoire semble laisser place au présent. Seulement deux épisodes historiques sont évoqués : le règne de Louis XIV, associé aux jardins à la française de Versailles, et la Commune. On en aurait bien repris un peu plus, appris davantage sur Louise Michel et ses compagnes communeuses ou sur les jardins ouvriers, par exemple.

Mais l’histoire semble bien davantage l’expression de la rage que l’on peut éprouver face aux monarques jupitériens (d’où l’évocation de Louis), et de la nécessité de croire en de nouvelles Sociales, de nouvelles Communes. À voir la jeunesse en scène, on a envie d’y croire. 🔴

Laura Plas


L’Abolition des privilèges, de la cie Le Royal Velours

D’après le texte l’Abolition des privilèges de Bertrand Guillot aux éditions Les Avril
Facebook de la compagnieAcmé
Adaptation et Mise en scène : Hugues Duchêne
Avec : Maxime Pambet
Durée : 2 h 30 minutes (trajet en navette gratuite compris)
Dès 14 ans

Théâtre du Train Bleu – Espace Maif • 40, rue Paul Saïn • 87000 Avignon
Du 4 au 20 juillet 2024 (les jours pairs), à 13 h 20
De 14 € à 20 €
Réservations : sur place ou en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici

Spectacle bénéficiant du dispositif Hauts-de-France en Avignon

Tournée :
• Le 14 septembre, Lisières de l’Oise, à Couloisy (80)
• Le 18 septembre, dans le cadre du Chaînon Manquant, à Laval (53)
• Le 22 septembre, Théâtre du Chevalet, à Noyon (60)
• Du 16 au 17 octobre, Théâtre de Vanves (92)
• Le 18 novembre, Mi-scène, à Poligny (39)
• Du 26 au 29 novembre, Théâtre d’Angoulême, scène nationale (16)
• Du 10 au 15 décembre, Les Célestins, à Lyon (69)
• Du 25 au 28 février 2025, dans le cadre du Cabaret de curiosité, Le Phénix, à Valenciennes (59)
• Du 6 au 8 mars, la Maison de la Culture d’Amiens (80)
• Du 20 au 21 mars, La Barcarolle, à Saint-Omer (62)

Nos Jardins, d’Amine Adjina et Émilie Prévosteau

La compagnie du Double
Mise en scène : Amine Adjina et Émilie Prévosteau
Avec : Mélisande Dorvault, Manon Hugny et Gauthier Wahl
Durée : 1 h 30 (trajet aller jusqu’au lycée Mistral compris)
Dès 12 ans

Le 11 • Avignon • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 2 au 21 juillet 2023 (sauf le lundi 15), à 11 h 45
De 10 € à 22 €
Réservations : en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici

Tournée ici :
• Le 4 mars, Espace Culturel Boris Vian, Les Ulis (91)
• Les 6 et 7 mars, Espace Bernard-Marie Koltès SCIN écritures contemporaines, à Metz (57)

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Je m’en vais, mais l’État demeure », de Hugues Duchêne, par Cédric Enjalbert
« Histoire(s) de France », d’Amine Adjina, par Laura Plas

Photos :
• Une et mosaïque : « Nos Jardins », d’Amine Adjina et Émilie Prévosteau © Géraldine Areteanu

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