« Histoire(s) de France », Amine Adjina, Théâtre de l’Union, Limoges

Histoire-s-de-France-Amine-Adjina © Géraldine-Aresteanu

Une « notre » histoire de France est possible !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Une comédie sur l’Histoire de France ? Incroyable… mais réussie. C’est « Histoire(s) de France d’Amine Adjina. Menu de ce tube aux 150 représentations : un millefeuille de sens, une bonne dose d’humour et une distribution aux petits oignons. Un régal !

Ras-le-bol des discours nauséabonds sur le roman national ? Des frissons face au projet de mainmise sur les manuels d’histoire par l’empire Bolloré ? Voici un remède familial à votre morosité. Jadis, Le Tour de la France par deux enfants, manuel de la 3ème République, enseignait « nos ancêtres les Gaulois » aux petits colonisés, et contaminait l’histoire de propagande. Prenant le contrepied, Amine Adjina propose comme « Un tour d’histoire de France par trois collégiens ». Entrent donc en scène Camille avec son caractère de « mai 68 », Arthur le bien nommé, car expert en rois, et Ibrahim, le plus gaulois du trio.

Ces trois-là doivent ensemble accomplir un devoir d’histoire : chacun sélectionnera et mettra en scène un épisode de l’Histoire de France. Mettre en scène ? Ben oui, elle en a de ces idées, la prof d’histoire ! Elle veut que l’Histoire devienne notre histoire, qu’elle entre dans la vie de ses élèves… comme on entre en scène justement. Cette histoire n’est pas seulement tournée vers le lointain, mais vers les mémoires plurielles de nos pères (et mères) et esquisse des lendemains. Camille le proclame : « Même si on ne peut pas changer [les choses], on peut rêver qu’on les change. Et y en a d’autres qui le feront un jour. » Face à la solalstalgie des grands et petits, ce viatique est précieux.

Rendre l’histoire aux lapins… ou en tout cas aux citoyens

Vous le pressentez, ça va faire Révolution. Pas seulement au sens où Camille choisit de représenter 1789, mais où trois jeunes déconstruisent les discours que cachent l’histoire, ces mythes que nous font entrevoir d’ailleurs de beaux micro-trottoirs documentaires du spectacle. Ils s’interrogent encore sur la façon dont on écrit l’Histoire et la place donné au peuple. Edouard Zinn le dit bien : notre histoire est toujours racontée du côté des chasseurs, jamais des lapins. Pas mal pour de si jeunes citoyens ! Camille dit non aux Gauloises au foyer, elle sera Vercingétorix et Ibrahim le plus vibrant des druides. Car sont Gaulois « ceux dont on parle souvent mais qu’on ne connaît pas, toutes les personnes qui vivent ici mais qui parlent pas un bon français ». Quant à Arthur, il finira par embrasser la cause du peuple… qui se trouve d’ailleurs au cœur de l’écriture d’Amine Adjina.

On pourrait s’inquiéter d’une dramaturgie de catalogue, entassant des épisodes de l’histoire (selon quel arbitraire ?) mais la pièce est intelligemment ficelée. Le fil directeur justement apparaît comme celui d’une histoire populaire (à la Noiriel). Elle monte en puissance, mettant en place subtilement amours et amitiés, alternant récits et dialogues, éclats de rire et pauses réflexives. Et puis il y a tout le jeu du théâtre, et même du théâtre dans le théâtre.

Si l’Histoire est prise au sérieux, on y joue avec joie, on y joue avec talent. La qualité du spectacle repose aussi sur le trio d’acteurs qui l’incarnent : Émilie Prévosteau vibrante et crédible en passionaria, Antoine Chicaud désarmant et Mathias Bentahar, fin et attendrissant. Ils arrivent à donner l’impression de la vie, de l’impromptu sur un texte ciselé. Sans doute, les tournées les ont-ils rôdés, sans doute leur appartenance à la compagnie du Double explique-t-elle leur belle complicité.

C’est pas fini la comédie !

Ils réussissent à jouer une belle comédie, celle qui fait du bien et fait réfléchir. Or, comme le disait Molière, rien n’est plus complexe que de faire rire les honnêtes gens. Les trois acteurs tirent en effet tout profit du théâtre dans le théâtre, des ruptures de jeu, des travestissements. Ils sont drôles et tendres. Ils font vivre aussi les personnages hors champs :  cette prof d’histoire atypique, ce père inconnu à Ibrahim lui-même. Ils convertiraient à l’histoire les plus rétifs des enfants et adultes. Alors, vivement le tome 2 (qui existe) et vivement demain ! 🔴

Laura Plas


Histoire(s) de France, d’Amine Adjina

La pièce est éditée aux Éditions Heyoka jeunesse, Acte Sud Papiers
Compagnie du double
Mise en scène : Amine Adjina
Collaboration à la mise en scène : Émilie Prévosteau
Avec : Mathias Bentahar, Antoine Chicaud (en alternance avec Romain Dutheil) et Émilie Prévosteau
Voix : Kader Kada
Création lumière : Bruno Brinas et Azéline Cornut
Création sonore : Fabien Aléa Nicol
Scénographie : Cécile Trémolières
Costumes : Majan Pochard
Durée : 1 h 15
Dès 10 ans

Théâtre de L’Union, centre dramatique national du Limousin • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Les 11 et 12 janvier 2024
De 6 € à 22 €
Réservations : 05 55 79 90 00 ou en ligne

Tournée ici :
• Le 23 janvier, CIRCA, à Auch (32)
• Les 26 et 27 janvier, Théâtre Molière, à Sète (34)
• Les 1er et 2 février, Théâtre du Chevalet, Noyon (60)
• Du 7 au 9 février, TAPS, Strasbourg (67)
• Les 12 et 13 février, L’Espal, Le Mans (72)

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