Les Zébrures Automne 2024, Reportage, Limoges

Abidjan-Limoges-© Christophe-Péan

De par le monde, pour tout le monde

Laura Plas
Les Trois Coups

Dans la rue comme dans les salles de théâtre et au plus bas prix, on a joué, mais aussi dansé, chanté, pour faire entendre le bruissement du monde. Une édition des Zébrures d’automne ouverte à tous et posant des questions palpitantes sur la création.

Avant même que ne s’ébranle le cortège d’Abidjan-Limoges, la note était donnée. Plus besoin de faire ses poches pour voir des spectacles, les tarifs commençaient à 5 euros et chacun donnait ce qu’il voulait, ce qu’il pouvait. Ceux qu’effrayent les textes, le « Théâââtre », découvraient dans la plaquette du festival des contes, du cirque, des histoires poétiques (celle du facteur Cheval dans Soudain, la pierre), de la danse (avec Massidi Adiatou ou Abdoulaye Trésor Konaté). En bref, la scène à portée de tous.

Et sur cette scène on a découvert le monde francophone. Vous savez, ces territoires proches ou lointains qu’on situe difficilement sur une carte, dont les histoires passées ou présentes nous sont mal connues. Que ces territoires parfois méprisés soient représentés dans une région de l’hexagone elle-même peu valorisée (ne dit-on pas qu’on limoge quelqu’un pour le punir ? Ne parle-t-on pas de diagonale du vide ?) fait sens. Que Limoges (dite « métropole ») ne soit pas le seul lieu de festivité, mais qu’on compte aussi la mairie d’Eymoutiers, le parc de la mairie de Feytiat, le Théâtre Jean Lurçat d’Aubusson, ou l’auditorium d’Uzerche, atteste que la culture peut ne pas être l’apanage des citadins.

Le sens de la fête

Donc, tout le monde est invité, car c’est une fête, même si on danse sous la pluie parfois, même si on chante les larmes aux yeux. La grisaille recule face à l’audace des couleurs, à l’énergie de la jeunesse. Les habitants embarqués dans le ballet déambulation Abidjan-Limoges, le plus court chemin, en témoigneront : des danseurs amateurs aux spectateurs.

Plus tard, les danseurs professionnels dirigés par Massidi Adiatou feront se lever les spectateurs de l’immense salle du Grand Théâtre. Têtes chenues et enfants, en costumes ou en sarouels : un public conquis par l’énergie folle que déploie On descend à la rue Princesse. Il faut dire qu’on en prend plein la vue et les oreilles. Rythme effréné, battle et moments collectifs puissants. On danse, on danse sans pause, ni répit. Si on peut déplorer le manque de dramaturgie, on admire le don de soi et la maîtrise des danseuses et danseurs.

De la danse aux voix. Tel est le sens de la fête qui se clôture avec les chants des Amazones d’Afrique, musique ancrée dans un continent, musique entraînante d’aujourd’hui. Entre ces deux pôles, on aura retrouvé FIQ ! (Réveille-toi !), le spectacle fraternel, coloré, incroyable de maîtrise du Groupe acrobatique de Tanger que dirige ici Maroussia Diaz Verbèke. Là aussi, c’est un carton. De quoi réconcilier, s’il le fallait, les jeunes et les autres avec les arts vivants, de quoi faire découvrir ce qu’est le cirque d’aujourd’hui. Par sa dramaturgie, le talent de ses interprètes, l’époustouflant et coloré Fiq ! met en joie, réveille. Sa longue tournée ne semble pas prête de s’achever (lire la critique de Léna Martinelli).

Mousson d’été, moisson d’automne

Mais les zébrures ne sont d’automne que parce qu’il y a eu printemps (temps de lecture de textes), parce qu’on passe des textes à la scène. Ce sont les moissons d’automne. Et c’est là où le festival peut passionner aussi les amoureux de textes et ceux de théâtre. Pour de nombreux textes, c’est la première épreuve de la mise en scène. La proposition est fraîche, elle devra parfois mûrir dans la tournée, les exploitations futures. Mais pour les auteur.ices en herbe, pour les metteur.ses en scène, quel fantastique terrain de questionnements !

En voici quelques-uns : un auteur est-il forcément le bon metteur en scène de son texte ? Comment couper un texte que l’on écrit, à quel prix ? Comment dépasser une bonne lecture ? Une bonne lecture ne peut-elle pas d’ailleurs faire obstacle à la mise en scène, resserrant l’imaginaire ? Certains textes dans leur flux sont-ils mieux entendus dans une spatialisation ?

En tout cas, on se souviendra de beaux textes comme celui de Gaelle Bien-Aimée. Aimer en stéréo, chant de douleur sur la situation d’Haïti, poème d’exil. Si sa forme n’est pas aboutie, on gardera en tête la magnifique introduction silencieuse et dansée du spectacle. On conservera dans l’oreille un flow, un travail de la langue. On aura au cœur la douleur d’une terre.

« Aimer en stéréo », Gaelle Bien-Aimé © David Duverseau ; « La Grande Ourse », Penda Diouf © Christophe Péan

On a pu aussi entendre le complexe et beau texte de Penda Diouf, la Grande Ourse. Certes, la proposition d’Antony Thibault nous a semblé un peu perdue sur le plateau de la MAD : elle exigeait sans doute plus d’intimité en raison à la fois de la scénographie et du jeu naturaliste des comédiens. Du moins, ne cède-t-elle pas à la facilité et ose-t-elle des partis pris de mise en scène. Il en est ainsi de l’incarnation par une unique actrice des mauvaises langues, de la direction d’acteurs toute en retenue.

Et puis, les zébrures sont aussi failles dans nos certitudes, elles ouvrent des passages vers une conscience du monde. Deux spectacles de l’édition sont sur ce point marquants. Lauréat du Prix RFI Théâtre 2023, À Cœur ouvert, d’Éric Delphin Kwégoué nous parle de la corruption au Cameroun et de l’extrême péril couru par les journalistes qui osent dénoncer cette situation. Nourri du réel (l’assassinat du journaliste Martinez Zogo) mais, le décalant, il nous offre un thriller politique dense. Adresses au public, récits faits par un protagoniste au présent nous entraînent aussi efficacement qu’une série. L’horreur côtoie l’humour noir. Criss Niangouna porte le spectacle, il est très bon. Si le spectacle est plus fragile dans les parties trop classiquement jouées, si la distribution est inégale, si on pourrait couper un peu, le spectacle est prometteur et le passage de la lecture à la scène fonctionne.

« À cœur ouvert », Éric Delphin Kwéguoué © Christophe Péan

On s’envole enfin pour Moroni, avec Je suis blanc et je vous merde, de Soeuf Elbadawi. Autre pièce politique, autre pièce à suspense où s’invite l’humour. L’auteur y remet en cause le colorisme et montre ainsi que le terme « blanc » ne se réduit pas à une question de racisation. Le propos est riche, complexe, plus que documenté au point qu’on se demande si la forme de l’essai n’aurait pas été plus adaptée. On aurait aimé que le rôle qu’incarne l’auteur, metteur en scène lui-même, soit davantage pensé en termes de théâtre.

Mais la pièce est portée par une distribution assez homogène et de haute volée : Philippe Richard (très juste), Fargass Assandé (figure d’autorité trouble d’une évidente présence) et surtout Yaya Mbilé Bitang : l’actrice apporte humanité, chair et beauté à la scène. Sa partition fait entrer l’humour, la respiration, la vie qui manquaient à des dialogues un peu rhétoriques. On y croit, on se prend de sympathie pour elle, on attend qu’elle reparaisse, et quand la pièce s’achève, c’est à elle, à sa rage, son courage, qu’on pense encore.

« Je suis blanc et je vous merde », Soeuf Elbadawi © Christophe Péan

Enfin – et c’est ainsi qu’a commencé le festival, le 24 septembre – plusieurs initiatives favorisent la vitalité et la diversité des écritures contemporaines francophones à travers le monde, contribuent à leur mise en lumière sur la scène internationale. Depuis plusieurs années, RFI et la SACD récompensent un texte d’un·e auteur·rice. Sur les 13 finalistes, le Prix RFI Théâtre a retenu Enfant de Gad Bensalem, de son vrai nom Tokiniaina Rakotomanga, artiste multidisciplinaire originaire de Madagascar, actif dans les domaines du slam-poésie, du théâtre et des arts visuels. Attribué à une œuvre d’expression française parmi une sélection de textes proposée par la Maison des auteur·rice·s de Limoges, le Prix SACD de la dramaturgie francophone 2024 est, quant à lui, décerné à deux textes ex-aequo : On ne part pas en guerre avec une vie qui danse ! de Phannuella Tommy Lincifort (Haïti) et Tatrïz, de Valentine Sergo (France, Suisse).

Le festival des Zébrures d’automne s’engage aussi chaque année à présenter des œuvres lauréates du programme Des Mots à la Scène porté par l’Institut français. Sur les 88 candidatures reçues, 17 projets ont été retenus par le jury. Ce fonds de production des écritures dramaturgiques contemporaines d’Afrique et des Caraïbes financé par le ministère de la Culture vise à valoriser les auteur·rice·s du Sud peu connu·e·s ou joué·e·s en favorisant la production de nouvelles mises en scène.

Laura Plas


On descend à la rue princesse, de Massidi Adiatou
Compagnie N’Soleh – Zoé Sylla
Assistants à la chorégraphie : Fenand Irle et Stéphane Tahé
Avec :Monne Angbacou, Stéphane Anicet Djonba, Cédric Baho, Média Thié Bakayoko, Yves Clément,Bamoussa Diomandé, Alfred Dosso, Marcelle Gbobla,Prince Gwahé, Reine Anita Kah, Victoire Koly Loukou, Estelle Kouamé Appia, Habiba Kamagaté, Jean-Luc Stéphane Téhé, Bohui Yoro
Durée : 1 h 05
Dès 12 ans
Grand-Théâtre • Place Stalingrad • 87000 Limoges
Du 25 au 27 septembre 2024

Fiq ! (Réveille-toi), Groupe acrobatique de Tanger
Circographie : Maroussia Verbèke
Site du groupe
Avec : Hammad Benjkiri, Ilyas Bouchtaoui, Zhor El Amine Demnati, Bouchra El Kayouri, Tarik Hassani,,Youssef El Machkouri, Achraf El Kati, Samir Lââaroussi, Jean-Mario Milanese, Hamza Naceri, Manon Rouillard, Ayoub Maani, Jemma Sneddon, Hassan Taher, Mohamed Takel et DJ DINO
Durée : 1 h 10
Tout public
Opéra de Limoges • Place Stalingrad • 87000 Limoges
Le 1er octobre 2024
Tournée ici :
• Le 12 octobre, Domaine de Bayssan, à Béziers
• Du 15 au 17 octobre, Palais des Arts, à Vannes
• Les 19 et 20 novembre, Les Scènes du Jura, à Lons-le-Saunier
• Les 14 et 15 décembre, Théâtre jean Vilar, à Vitry-sur-Seine

Concert des Amazones d’Afrique
Site du groupe
Avec : Jemiriye Adeniji,Baya, Nadjib Ben Bella, Alvie Bitemo, Manu Chavanet , Mamani Keita, Fafa Ruffino, AdeolaSoyemi
Durée : environ 1 h 15
Tout public
Opéra de Limoges • Place Stalingrad • 87000 Limoges
Le 5 octobre 2024
Tournée ici

Aimer en stéréo, de Gaëlle Bien-Aimée
Cie Actambule
Mise en scène : Gaëlle Bien-Aimée
Avec : Gaëlle Bien-Aimée, Charline Jean Gilles, Amandine Saint Martin
Durée : 1 h 15
Dès 15 ans
Théâtre de l’Union, CDN du Limousin • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Les 4 et 5 octobre 2024
Tournée :
• Le 17 avril 2025, au Théâtre de Bayonne (64)
• Le 24 et 25 avril, Le Préau, Centre Dramatique National, à Vire (14)
Présentation sur Facebook

La Grande Ourse, de Penda Diouf
Le texte est édité aux Éditions Quartett
Cie La nuit te soupire
Mise en scène : Antony Thilbault
Avec : Armelle Abibou, Prescillia Amany Kouamé, Hovnatan Avedikian, Maïka Louakairim, Marcel Mankita, Adrien Michaux et Aho Ssan
Durée : 1 h 30
Dès 15 ans
Centre Jean Moulin-Maison de la danse • 76, rue des Sagnes • 87000 Limoges
Les 2 et 3 octobre 2024
Tournée :
• Le 26 novembre, TAP-Le Méta, à Poitiers (86)
 • Le 28 novembre, Scènes de Territoires, à Bressuire (79)
• Les 3 et 4 décembre, Centre Robert Desnos, Scène Nationale de l’Essonne, à Ris-Orangis (91)
• Du 7 au 17 décembre, MC93, Bobigny (93)
Présentation sur Artcena

À Cœur ouvert, d’Éric Delphin Kwégoué
Mise en scène : Éric Delpin Kwégoué
Avec : Clémentine Abena Ahanda, Abdon Fortuné Koumbha, Claudette Fleur, Mendela Bédiébé, Criss Niangouna , Léonce Henri Nlend, Basile YawankéNakpane
Durée : 1 h 30
Dès 15 ans
Théâtre de l’Union, CDN du Limousin • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Les 4 et 5 octobre 2024

Je suis blanc et je vous merde, de Soeuf Elbadawi
Mise en scène : Soeuf Elbadawi
Avec : Fargass Assandé, Yaya Mbilé Bitang, Dédé Duguet, Soeuf Elbadawi, Diariétou Keita, Philippe Richard
Durée : 1 h 30
Dès 15 ans
Le texte est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – Artcena et lauréat ex aequo du Prix international 2023-2024 du comité de lecture Quartier des Autrices et des Auteurs (QD2A), accueilli au Théâtre des Quartiers d’Ivry CDN du Val de Marne
CCM Jean Gagnant • 7, avenue Jean Gagnant • 87000 Limoges
Les 3 et 5 octobre 2024

Dans le cadre du Festival Les Zébrures d’automne, du 25 septembre au 5 octobre 2024
Toute la programmation ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Révolutionner le regard, Les Zébrures d’automne 2023, par Laura Plas 

Photo de une : « Abidjan-Limoges, le plus court chemin », Massidi Adiatou © Christophe Péan

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