Gouaille populaire et humour incisif
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Dans le cadre de sa résidence à Coutances, Airelle Besson fait feu de tout bois. La voici dans un cabaret qui rend un hommage plein de vie à Boris Vian.
La compagnie Dodeka est vouée au théâtre, mais la présence d’Airelle Besson à Coutances l’a entraînée vers le cabaret. Il arrivait à Boris Vian de jouer de la trompinette, Airelle reste simple, elle joue de la trompette, mais de quelle façon ! Elle est entourée de Christophe Lefèvre (contrebasse, voix), de Pierre Szabo (guitare, voix) et de Freddy Charlou (guitare, voix, sifflet). Ce quartette fait cercle autour de trois comédiens-chanteurs : Sarah Auvray, Vincent Poirier et Nicolas Rivals, à qui l’on doit également la conception et la mise en scène.
Le Magic Mirror a retrouvé sa vocation initiale de cabaret dans un décor des années 1940-1950, comme les robes des femmes. Les comédiens évoluent aussi bien sur scène que parmi les spectateurs attablés. Nous entendrons des chansons, souvent très réputées, et des textes signés Vian moins connus, pour beaucoup sur le jazz ou la poésie.
On commence par un swing endiablé avec Ah ! Si j’avais un franc cinquante… et déjà le public est dans la poche. Le spectacle est rythmé. Chansons et textes s’enchaînent sans répit, portés par l’un ou l’autre des protagonistes.
Humour noir, potache et vache
J’suis snob et le Blouse du dentiste permettent à Vincent Poirier d’affirmer un beau talent de comédien, ce qu’on savait, mais aussi de chanteur. Fais‑moi mal, Johnny ! semble avoir été écrit sur mesure pour Sarah Auvray, comédienne haute en couleur et chanteuse agréable à entendre. L’interprétation très expressionniste de Je bois le confirmera.
Arthur… où t’as mis le corps ?, interprété à trois voix, mêlant texte et chant, est sans doute le clou du spectacle ! Nicolas Rivals dont la voix parlée aurait souvent gagné à être soutenue y trouve un rôle à sa mesure.
On n’échappera pas, évidemment, à l’antimilitarisme militant de Vian. Superbe les Joyeux Bouchers dont la fin surprend cependant en gommant complètement l’allusion à la Légion étrangère. La Java des bombes atomiques nous rappelle de surcroît les penchants anarchistes de l’auteur. La trompette d’Airelle Besson est ici dans le registre de la voix chantée où elle excelle. La Java des chaussettes à clous de même qu’On n’est pas là pour se faire engueuler (réjouissante Marseillaise délibérément fausse en introduction à la trompette) nous plongent au beau milieu de cette expression de la gouaille populaire de Vian, indissociable de son humour noir, potache et vache à la fois.
Les textes non chantés auraient parfois gagné à être proférés avec un peu plus de force. On fera une exception pour le très beau Je voudrais pas crever (particulièrement émouvant quand on connaît la fin de Vian) dit avec le seul support de la trompette. Airelle y évolue entre souffle et sifflement ténus et finit par un accompagnement qu’on qualifiera de mezzo voce. Une grande douceur face à la violence du texte.
Les comédiens-chanteurs ont eu le privilège d’être accompagnés, le terme n’est pas exact, car les instruments étaient également des personnages, par un solide quartette. On y distinguera évidemment Airelle Besson, pour son jeu d’une parfaite justesse, mais aussi pour la pertinence de ses ponctuations parfois ironiques ou du moins décalées. Boris Vian ! Un cabaret ne révolutionne pas l’interprétation de l’auteur-compositeur, mais c’est plus qu’une simple distraction qui serait au demeurant fort plaisante. ¶
Jean-François Picaut
Boris Vian ! Un cabaret, d’après Boris Vian
Cie Dodeka
Photo : © Jean‑François Picaut
Jazz sous les pommiers 2016, à Coutances (Manche)
35e édition
Du 30 avril au 7 mai 2016
Contact public : Jazz sous les pommiers • les Unelles • B.P. 524 • 50205 Coutances cedex
Tél. 02 33 76 78 50 | télécopie 02 33 45 48 36
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