Le mystère Bosch
Par Juliette Nadal
Les Trois Coups
Le collectif de création pluridisciplinaire Les 7 doigts de la main propose une initiation moderne et sensible à l’œuvre énigmatique du peintre néerlandais Jérôme Bosch. Combinant cirque et arts visuels, « Bosch dreams » nous fait pénétrer dans l’imagination merveilleuse et incompréhensible de l’artiste médiéval.
Bosch est un mystère. Des siècles d’exégèse ne sont toujours pas parvenus à expliquer l’origine et le sens de ces tableaux dépeignant des scènes foisonnantes où des créatures difformes se livrent à des activités occultes. Pourtant, Dali, Jim Morrisson, les surréalistes et même la psychanalyse citent tous l’artiste flamand comme une source d’inspiration, voyant en lui un visionnaire. En 2016, cinq cents ans après la mort du peintre, le collectif Les 7 doigts de la main s’est plongé dans son univers et tente de lever cette question sans réponse : que signifient les créations de Bosch ?
Le spectateur entre dans l’œuvre du peintre accompagné par deux guides : un conférencier répétant la présentation qu’il fera de l’œuvre de Bosch lors de la prochaine célébration du cinq centième anniversaire de sa mort, et une fillette dont les vêtements et l’attitude ont tout d’une Alice au pays des merveilles. Le spectacle se construit sur l’alternance entre le cours d’histoire de l’art dispensé avec humour par le conférencier et le passage de l’autre côté, dans l’œuvre qui s’anime.
Bosch en 3D
Le prodige de ce spectacle est de réussir l’animation en 3D des tableaux de Bosch, grâce à une maîtrise de différentes techniques qui s’accordent parfaitement pour nous immerger dans ce monde si singulier. À l’instar d’un autre grand maître canadien de l’illusion scénique, Robert Lepage (on pense à son spectacle « 887 »), le collectif crée des images spectaculaires, en particulier grâce à l’animation vidéo : par un travail numérique savant sur les tableaux de Bosch, les créatures se mettent en mouvement, la surface plane de la peinture semble s’approfondir, comme ces fleurs de papier japonaises qui s’ouvrent et se déploient quand on les plonge dans l’eau.
La technique numérique est relayée par l’utilisation de deux écrans, l’un de tulle à l’avant-scène, et l’autre en fond de scène, sur lesquels des éléments des tableaux de Bosch sont projetés simultanément. La propriété du tulle, qui constitue une surface de projection tout en étant transparent, permet de voir l’espace du plateau qui se situe entre les deux écrans. C’est là, dans des ambiances lumineuses remarquables, qu’apparaissent et jouent les acteurs acrobates, ou plutôt les créatures sorties des tableaux de Bosch.
Car une autre réussite du spectacle réside dans la création des costumes et des masques, répliques parfaites des vêtements et des visages peints par Bosch. Animés par les corps des artistes, les personnages prennent chair, le tableau prend vie, et l’on a l’illusion d’assister à la scène de rue dépeinte dans l’Escamoteur, ou à l’incendie de Bois-le-duc, qui a inspiré le décor de l’Enfer dans le triptyque du Jardin des délices. Quand un poisson géant en train d’avaler un homme traverse la scène de cour à jardin, on a le sentiment qu’il a quitté le tableau pour vivre une vie de chair. Cette virtuosité émerveille tout autant qu’elle permet une exploration jubilatoire de l’œuvre de Bosch.
C’est quoi ce cirque ?
On ne verra pas ici s’enchaîner dans une surenchère effrénée des numéros de cirque pleins de prouesse. La souplesse, la voltige, la capacité à faire bouger les corps ou les objets dans des mouvements inattendus et inédits contribuent avec justesse à faire vivre les créatures bizarres de Bosch. Une femme en équilibre sur les mains tord son buste et ses jambes avec agilité dans une ambiance marine : voici une nouvelle créature de l’artiste. La trapéziste évolue avec grâce au cœur d’une forêt saturée de vert et de rouge, elle fait vibrer la poésie du tableau et opère une véritable harmonie esthétique. On savoure, mais on continue de n’y rien comprendre.
Le conférencier a posé la question au début du spectacle, c’est la quête de sa vie, son obsession : que faut-il comprendre des tableaux de Bosch ? Que peut saisir la raison de ce groupe d’hommes et de femmes nus rassemblés autour d’une fraise géante ? Quel message est enfermé dans l’homme-arbre ? Pourquoi ces spectres noirs à la bouche en forme de trompette, ces assemblages surréalistes ? Chercher à les décrypter à force d’érudition comme des énigmes est une fausse piste. « Psychoanalytics things », affirme le personnage de Dali qui nous a fait visiter les couloirs du musée du Prado où est exposé le Jardin des délices…
Une sphère rouge, semblable à celle qui se trouve dans ce tableau et qui suscite l’interrogation stupéfaite du conférencier – tant sa présence lui paraît incongrue –, passe comme un relais entre les personnages tout au long du spectacle. Elle symbolise ce langage inconscient que parlent les créateurs et qu’ils se transmettent à travers les époques et les arts. Après nous avoir guidés dans les rêves de Bosch, elle finit sa course dans la chambre du peintre alité, au crâne coiffé d’un bonnet rouge. La créativité est un secret caché dans les arcanes du cerveau humain : inaccessible, comme cette folie que l’on cherche à extraire en trépanant le malade dans la Cure de folie. Un mystère qu’il est inutile de vouloir expliquer. ¶
Juliette Nadal
Bosch dreams, Les 7 doigts de la main
Idée originale et concept : Samuel Trétreault
Vidéo et animation : Ange Potier
Masques, costumes et décors : Ange Potier
Création lumière : Sunni Joensen
Création sonore : Janus Jensen
Avec : Vladimir Amigo, Marie Eve Dicaire, Raphael Filiatreault, Emilie Mathieu, Elisa Penello, Timothé Vincent, Leah Wolff
Durée : 1 h 25
À partir de 8 ans
Bonlieu Scène Nationale d’Annecy • 1 rue Jean Jaurès • 74000 Annecy
Du 19 au 23 décembre 2018, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 19h, dimanche à 15h puis tournée
De 8 € à 25 €
Réservations : 04 50 33 44 11
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